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Archive pour avril, 2011


Michaux, « Emportez-moi » in « Mes Propriétés » – Corpus : « La poésie : un voyage vers un ‘‘ailleurs’’ « 

27 avril, 2011
Corpus, Poésie | Commentaires fermés

« Emportez-moi »

Ce poème (http://www.udel.edu/fllt/grads/nicholsj/pageaaa21.html), paru en 1929, dans Mes Propriétés, un des premiers recueil d’Henri Michaux, est marqué par le surréalisme, même si cet auteur refusera toujours toute assimilation à ce mouvement.
Henri Michaux_ autoportrait Il est d’ailleurs difficile de classer Michaux (1899-1984), d’origine belge, lui aussi cosmopolite. Il effectue, en effet, son premier voyage, en tant que matelot, en 1916, mais au bout d’un an revient en Belgique, où il exerce de petits métiers. Dès 1920-21, il s’intéresse à la littérature, puis s’installe à Paris, même s’il ne cessera jamais de voyager, notamment en Amérique du sud. Il expérimente aussi les drogues, d’abord l’éther, puis des drogues psychotropes à partir de 1954, qu’il considère comme des moyens d’exploration du subconscient, puisque, pendant ces séances, sous contrôle médical, il note ses impressions et dessine, car très tôt il combine l’écriture poétique et l’expression picturale.  [ pour en savoir plus, cf. 
http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Michaux 

Mes propriétés est un recueil qui illustre les thèmes essentiels de son œuvre, le  refus de la réalité quotidienne, et la quête d’un « ailleurs » par le biais du voyage. Vers quel « ailleurs » le voyage poétique conduit-il le poète ? 

L’ÉLAN VERS UN « AILLEURS »        

Le poème frappe immédiatement par sa structure, originale. Il est, en effet, formé de trois quatrains, terminés par un vers alexandrin isolé, ainsi mis en valeur. La métrique des quatrains forme une gradation. Le premier est composé de trois décasyllabes, suivi d’un octosyllabe, avec une rime par la répétition entre les vers 1 et 2, complétée par la répétition insistante du vers 4, détachée par la coupe : « au loin, au loin ».  Le deuxième, lui, débute par un octosyllabe, suivi d’un ennéasyllabe puis de deux endécasyllabes, vers impairs qui forment un contraste. Le troisième, enfin, est totalement irrégulier, avec un alexandrin, puis un vers de 13 syllabes, un endécasyllabe, jusqu’au vers 12, formé de deux octosyllabes juxtaposés. 

== Ainsi se crée l’impression d’un élan qui, après un début encore calme et harmonieux, s’intensifie, gagne en violence au fil du poème. 

Henri Michaux _ élan L’apostrophe à l’impératif, « Emportez-moi », reprise du vers 1 au vers 9 puis 13, soutient cette impression d’élan, en constituant un appel, comme une sorte de prière. Mais à qui s’adresse-t-elle ? À personne en particulier… Peut-être à ses rêves, qui auraient ce pouvoir d’emporter loin du réel quotidien, auquel il veut échapper (« Et perdez-moi ») ou bien aux poèmes qu’il crée, qui seraient alors dotés de cette puissance quasi magique ? L’anaphore de la préposition « dans » crée une accumulation, renforcée par la série de points qui marque le deuxième quatrain. Mais cette anaphore traduit une ambiguïté : s’agit-il du « moyen de transport », « une caravelle » ou « un attelage », ou du lieu dans lequel il souhaite être transporté ?         

Michaux,    Les deux premiers quatrains font référence à des voyages de découverte, d’exploration. Sont d’abord mentionnés ceux des conquistadores : « une vieille et douce caravelle ». C’est l’image du voyage au-delà de l’océan connu, vers un autre monde, un voyage lent (« douce »), bien loin des navires modernes devenus bruyants.

Exploration au pôle Puis viennent ceux des découvreurs des pôles : « l’attelage d’un autre âge », avec une reprise sonore, qui semble reproduire le glissement du traineau sur « la neige ». L’image est confirmée par la mention du vers 7, de « quelques chiens réunis ». 

=== Dans les deux cas, nous découvrons un monde à la fois de légende des temps anciens, et de pureté, soit par l’image de l’eau – qui lave, purifie -, soit à travers la blancheur de « la neige ». 

           Par opposition, la troisième strophe évoque les corps, avec une alternance entre une approche extérieure (les « baisers », ou les « paumes » des mains, ou le « sourire ») et une plongée à l’intérieur : les « poitrines » et la respiration, les « os longs » et les « articulations ». 

 == Le voyage prend alors une dimension quasi magique, avec le changement de « dans » en « sur » qui transforme les « paumes » des mains en une sorte de tapis volant capable d’emporter vers un monde inconnu. Cela renforce l’impression que le poème représenterait une forme de formule magique, une incantation, à prononcer pour fuir le monde réel

 LE SENS DE CET « AILLEURS »            

 

 

michauxsanstitre.vignette dans Poésie La progression de l’apostrophe, avec les changements verbaux, révèle en fait une angoisse. En premier lieu « Emportez-moi » constitue un souvenir de l’élan romantique, tel celui exprimé dans René, de Chateaubriand, avec son appel à un monde idéal, quand il se comporte à la « feuille morte » : « Emportez-moi comme elle, orageux aquilons ». Mais « Perdez-moi » traduit un désir de ne plus se posséder lui-même, en référence au titre du recueil, Mes propriétés, qui renvoie à la seule chose qu’il pense posséder, les composantes de son corps, transformées en territoires : « Ces propriétés sont mes seules propriétés, et j’y habite depuis mon enfance, et je puis dire que bien peu en possèdent de plus pauvres », explique-t-il. Cela traduit comme un désir d’échapper à son propre corps. Le poème se termine sur « ou plutôt enfouissez-moi », où, pour des questions de métrique, on choisira de former une diérèse sur ce verbe, qui renvoie à l’ensevelissement, donc à la mort, seule échappatoire possible pour fuir le « moi » et ses pesanteurs

=== Ainsi ce dernier vers, avec le contraste rythmique (4 // 8 syllabes), transforme l’élan de découverte en un désir de fuite face à soi-même, un désir de disparaître, donc d’être « autre ». 

  michauxepaveoblique.vignette      À la lumière de ce dernier vers, le poème prend alors un autre sens, celui d’une lutte entre « éros » et « thanatos », entre les forces qui poussent à la vie et celles qui attirent vers la mort. Cette lutte se perçoit dans chacune des strophes.
Dans le
1er quatrain, on note le contraste entre « la caravelle », dont on imagine le pont et les voiles, et les lieux mentionnés dans le vers 3 : « l’étrave » est la partie saillante de la coque, à l’avant du navire, celle qui, donc, coupe l’eau pour avancer, tandis que « l’écume » évoque davantage le sillage laissé par le navire derrière lui, l’eau dans laquelle serait alors tombé le voyageur, au risque de se noyer. Ne dira-t-il pas d’ailleurs « perdez-moi » ?
Dans le 
2ème quatrain, la blancheur pure et la douceur de « velours » de « la neige » sont brisées par l’adjectif qui soutient le vers 6 impair, « trompeur » : cela suggère que ce monde polaire est porteur d’une froideur mortelle, la neige pouvant engloutir « l’attelage ». De même, l’animalité chaude des « chiens réunis », avec leur « haleine » essoufflée après l’effort,  contraste avec la froideur du vers suivant, et une autre image de fatigue : « la troupe exténuée des feuilles mortes ». Ces « feuilles » qui jonchent le sol sont en attente de leur décomposition, de l’hiver saison de mort. 
Enfin, dans le
3ème quatrain, certes les images des corps sont souriantes, puisqu’il s’agit de « baisers », qui suggèrent l’amour, des « poitrines qui se soulèvent et respirent », en un long vers de 13 syllabes comme pour reproduire toute l’amplitude des respirations, et des « paumes », mains tendues en signe de fraternité, associées d’ailleurs à « leur sourire ». Mais le trimètre (vers 9) porte en son centre une première fêlure, car le voyageur semble déjà fragile : « Emportez-moi, sans me briser, dans les baisers ». De plus le dernier vers, si long, dans lequel on choisira de former une diérèse sur « articulations » pour créer une symétrie métrique (2 octosyllabes), conduit à une plongée beaucoup plus angoissante dans les profondeurs de l’homme : « Dans les corridors des os longs, et des articulations ». Ce vers donne ainsi l’impression d’un véritable labyrinthe intérieur, mais d’un homme dont ne ressort que ce qui subsistera de lui après la mort, le squelette. 

=== Ce voyage conduit donc à un passage de la vie vers la mort, exprimant un désir de fuite qui se résout en une dissolution de l’être.

 CONCLUSION

 

michauxeclatements.vignette Il s’agit donc d’un poème étrange, qui joue entre la régularité métrique et la rupture, entre l’imaginaire dépaysant et la plongée dans un imaginaire plus angoissant, entre le désir de sortir de soi, et celui de se refermer sur soi. Où est véritablement « l’ailleurs » de Michaux, en dehors ou en dedans ? En fait, le voyage vers l’« ailleurs » le ramène invariablement à sa seule « propriété », son monde intérieur, qui est sa véritable exploration, ce que Bachelard appelait « l’immensité intime ». Henri Michaux déclarera lui-même qu’« il est et se voudrait ailleurs, essentiellement ailleurs autre ». Mais le plein du vivant, c’est-à-dire la force du monde extérieur et de ses beautés, semble sans cesse contrebalancé par le vide, par la présence sous-jacente partout de la mort, dans un être tout prêt à se fondre dans le néant.

On est ainsi face à un poème qui entrecroise les héritages. On y reconnaît des élans romantiques, mais métamorphosés par les recherches des surréalistes, à travers les images surprenantes qui se juxtaposent sans réel souci de la syntaxe, à la façon des simultanéistes. En même temps, comment ne pas penser à Baudelaire, et au dernier poème des Fleurs du mal dans cette incantation qui sonne comme un appel à la mort adressé par le biais de l’écriture poétique ?  

Cendrars, « Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France », vers 1-23 – Corpus : « La poésie : un voyage vers un ‘‘ailleurs’’ « 

27 avril, 2011
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Prose du transsibérien 

Au XX° siècle, au moment où Cendrars fait paraître son long poème, en 1913, la poésie a déjà accompli sa « révolution » avec Rimbaud, qui pose clairement le rôle du « poète-voyant », « alchimiste », avec le « poème en prose », initié par Aloysius Bertrand, pratiqué par Lautréamont et Baudelaire et avec le « vers libre », une libération du vers réalisé par les contemporains de Cendrars, Laforgue, Maeterlinck, Apollinaire, Claudel… 

La Prose du transsibérien Mais Cendrars ira encore plus loin, devenant un parfait représentant des courants qui traverse ce début de siècle. Par sa vie déjà, il illustre le cosmopolitisme : depuis le premier voyage, une « fugue » en Russie à l’âge de 16 ans, que transfigure La Prose du transsibérien, jusqu’à ceux, multiples, en Amérique, du nord et du sud, en Afrique…, on peut dire, en reprenant le titre d’un de ses recueils, que le « monde entier » devient son champ d’exploration. L’œuvre de Cendrars est d’ailleurs qualifiée par Paul Morand d’ « inventaire cumulatif du globe », aussi bien dans des romans relatant toutes les formes d’aventures, mêlant l’exotisme, le réel, le rêve, la violence…, que dans des poèmes, en vers libres ou en prose.  [ Pour en savoir plus sur l’auteur, une biographie assez complète : http://calounet.pagesperso-orange.fr/biographies/cendrars_biographie.htm  ]

Paris est au début du XX° siècle le centre du renouveau artistique, avec les peintres (Picasso, Braque…), les poètes (Apollinaire, Max Jacob, Picabia…), et Cendrars découvre le Montmartre d’alors, avec son cabaret, « Le lapin agile », et son immeuble, « Le bateau-lavoir », qui héberge 25 ateliers d’artistes. C’est d’ailleurs de Montmartre qu’est censée venir « la petite Jehanne », nommée ailleurs « Jeanne, Jeannette, Ninette », sa compagne de voyage dans le poème, jeune prostituée. De ses voyages, il ramènera, en effet, son 1er poème, Pâques à New York (1912), puis La Prose du Transsibérien (1913), souvenir de son premier voyage de jeunesse en Russie, suivi de plusieurs autres.
La prose du transsibérien Une édition en sera réalisée, illustrée par Sonia Delaunay, qui recevra l’appellation de « Premier livre simultané » : un livre-objet, qui combine la forme, les wagons, la couleur (un décor peint) et les sons, les mots. L’appellation reprend l’idée émise dans le manifeste de l’italien Marinetti, Imagination sans fils et les mots en liberté, (juin 1913). Il y fait le portrait du futur poète « moderne », qui « détruira brutalement la syntaxe en parlant, se gardera bien de perdre du temps à construire ses périodes, abolira la ponctuation et l’ordre des adjectifs et vous jettera à la hâte, dans les nerfs de toutes ses sensation visuelles auditives et olfactives, au gré de leur galop affolant ». Marinetti réclame un renouveau poétique, expliquant que sa « révolution est dirigée en outre contre ce qu’on appelle harmonie typographique de la page qui, qui est contraire aux flux et aux reflux du style qui se déploie dans la page. »

La Prose du transsibérien, détail de la couverture Le titre même de l’œuvre de Cendrars n’est-il pas d’ailleurs lui-même fait de contrastes ? Déjà le terme « prose » surprend, pour un poème fait de vers libres. Puis « le Transsibérien », qui évoque un voyage lointain, la découverte d’une Sibérie où sévit le froid et, à cette époque, le choléra, s’oppose à « la petite Jehanne de France », jeune femme toute simple, comme sa question qui marque la structure du poème « Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ? », que son prénom anoblit, en quelque sorte, en la rattachant à Jeanne d’Arc. 
Cendrars, Cendrars, « Prose du transsibérien », vers 1-23 Le passage choisi constitue l’ouverture du poème, et conduit à s’interroger sur le sens que lui donne son auteur. Comment le voyage devient-il fondateur de la création poétique ?

 L’ÉBLOUISSEMENT DU VOYAGE 

Le trajet du transsibérien  Le dépaysement est immédiatement mis en évidence, d’abord par la distance.  Le vers 3 joue sur les mots (« lieues », « lieu »), jeu de mots qui met en valeur l’écart spatial, inscrit en chiffres : « J’étais à 16000 lieues du lieu de ma naissance ». Le transsibérien, qui sera achevé en 1916, parcourt, en effet, plus de 9000 kilomètres, et il faut une semaine pour faire le voyage de Moscou à Vladivostok.  Partir loin, c’est donc devenir étranger, porter un autre regard sur les lieux : « Et mes yeux éclairaient des voies anciennes » (vers 9) où le verbe marque que ces lieux sont comme illuminés par ce regard nouveau qui les observe. 

Ecriture cunéiforme sumérienne A cela s’ajoute l’écart temporel. Le poème va faire de multiples références au passé : « comme un immense gâteau tartare » (v. 12), allusion au « Tatars », peuple de Crimée ayant à de multiples reprises, envahi la Russie, notamment au XVI° siècle. « la légende de Novgorod » (v. 16), ville qui a joué un rôle important dans l’histoire de l’empire russe. « des caractères cunéiformes » (v. 18), qui renvoient à la Mésopotamie, au IV° millénaire avant J.-C. On observe donc un mélange, par juxtaposition, de l’Orient et de l’histoire nationale russe

La place Rouge à Moscou Mais Cendrars juxtapose aussi l’ancien et le moderne.  Au vers 4-5, le chiasme insère le modernisme (« les sept gares ») au cœur du monde ancien, illustré par la religion, comme si les transports devenaient la nouvelle religion des temps modernes, avec le chiffre sacré, « sept ». Au vers 7, la double comparaison unit le « temple d’Éphèse », l’une des 7 merveilles du monde dans la Grèce antique, en Asie mineure, incendié en 356 par Érostrate, et « la Place Rouge de Moscou », la construction urbaine d’un monde moderne, illuminée par un coucher de soleil (v. 8). 

=== C’est cette juxtaposition d’images, à la façon d’un « collage » en peinture, qui définit le « simultanéisme », impression renforcée par l’absence de ponctuation. Ainsi le rythme reproduit celui du train, avec des élans, des saccades, des arrêts : des moments plus réguliers, avec la reprise en anaphore, par exemple du verbe « j’étais » (vers 1, puis 3 et 4), alternent avec des ruptures brutales, notamment dans la deuxième strophe. 

Prose du transsibérien, spectacle par la compagnie Gera Enfin Cendrars réalise une métamorphose du réel. On note, en effet, un glissement au fil des strophes. La 1ère reste encore très ancrée dans la réalité, à la façon d’une autobiographie, par exemple avec les verbes banals, répétés : « J’étais en mon adolescence », « J’avais à peine seize ans », « J’étais à Moscou »… En revanche, la deuxième bascule dans le registre merveilleux, à la façon des contes de fées (Hansel et Gretel) ou des chansons enfantines (le palais de « Dame Tartine »), avec la comparaison des vers 12-13 et la métaphore des vers 14-15 : les « gâteaux » asiatiques // ceux d’Orient : « croustillé », « amandes », « mielleux ». le décor : « d’or », « toutes blanches », « l’or des cloches ».  En même temps, Cendrars se souvient des synesthésies, héritées de Baudelaire, en mêlant les notations visuelles, gustatives, auditives.

=== Ainsi le voyage est l’occasion d’un tableau chargé d’exotisme, mais qui transfigure la réalité. 

LE SENS DU VOYAGE 

Le paysage qui apparaît dans ces premiers vers est représentatif de l’état d’âme de son spectateur. Certes, le poème est écrit alors que Cendrars est âgé de 26 ans, donc il y a 10 ans d’écart par rapport à l’expérience vécue. Mais ici ce recul, propre à l’autobiographie, sonne à la façon d’un conte, par la formule d’ouverture : « En ce temps-là ».

Ce temps de légende est celui de « l’adolescence », période quasi magique par ses élans d’émerveillement que traduit le poème. On y reconnaît l’envie de « toujours plus », au vers 5, « Et je n’avais pas assez… ». Une sorte de faim gourmande est suggérée par le « gâteau », et la « soif » du vers 17 traduit le désir d’absorber la vie, d’absorber le monde et les connaissances qu’il peut offrir. Le vers 15, avec les points de suspension sous-entend même une boulimie ininterrompue, du corps mais aussi de l’esprit, avec le livre du « vieux moine ». 

envol de pigeons Ce même élan est reproduit par les images et le rythmeLes vers 6-7 et 8 constituent un long enjambement, avec la reprise de « si ardente et si folle » par le verbe « brûlait », complété par la comparaison qui met en place l’image de l’incendie suggérée par la mention du « temple d’Éphèse ». La reprise du verbe « s’envoler » (vers 19-20) met, elle,  en parallèle le décor – l’envol des « pigeons » – et le désir d’envol de l’adolescent, symbolisé par « mes mains », image symbolique de la volonté de saisir le monde, de le posséder d’en haut, comme les oiseaux, dans sa totalité. 

=== Le voyage est d’abord l’élan du mouvement, propre à l’adolescence, le désir de s’emplir du monde parcouru

L'adolescence En même temps est affirmée la négation de l’enfance : « je ne me souvenais déjà plus de mon enfance » (vers 2). Le voyage est donc tourné vers l’avenir. Mais quel avenir ?

C’est d’abord celui de poète, qualité sur laquelle Cendrars porte alors un jugement sévère, « j’étais déjà un si mauvais poète » (vers 10), justifié par « je ne savais pas aller jusqu’au bout », formule qui peut recevoir plusieurs interprétations. Elle peut faire référence à la forme poétique : il évoquera plus loin dans le poème une citation d’Apollinaire, « Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers ». Il ne maîtriserait donc pas la versification traditionnelle, mais n’oserait pas non plus aller jusqu’à briser totalement l’écriture poétique. Mais cela peut aussi renvoyer au fond : il dira plus loin dans le poème « l’univers me déborde ». Il s’agirait alors d’un contenu poétique incomplet et imparfait, en raison d’une forme d’impuissance à rendre compte de la totalité du monde. 

Mais l’on note aussi une avancée progressive vers la conscience de la mort au fil des strophes. 
Le premier signe est la lumière solaire au vers 8 : « Quand le soleil se couche ». Or cette mort du jour est mise en parallèle à « mon cœur brûlait », qui peut prendre l’autre sens d’une destruction. 
Le deuxième signe est l’intérêt porté aux temps anciens, une fascination pour ce qui fut créé par l’homme, mais a disparu. 
La 3ème strophe confirme cette thématique 
à la fois par le rétrécissement du rythme des vers 21 à 23, avec la reprise de « dernières réminiscences » par « dernier jour » et « tout dernier voyage », et par la dimension religieuse qui se confirme. Dans la 1ère strophe, il y avait, en effet, la mention des « trois clochers », dans la 2ème celle des « grandes amandes des cathédrales », ici on trouve « les pigeons du Saint-Esprit », image qui donne un sens nouveau aux banals pigeons urbains, qui se transfigurent, dans la comparaison suivante en « bruissements d’albatros ». On pense alors à « l’albatros » de Baudelaire, allégorie du poète qui plane sur le monde, et constitue un trait d’union entre le visible terrestre et l’invisible céleste. L’image, complexe, crée la double idée des 2 derniers vers. D’une part « la mer » illustre la liberté du voyage ; d’autre part, et en opposition, le terme « réminiscences » évoque, lui, des souvenirs lointains, comme si, en ce temps d’adolescence, il y avait « mort » de l’enfance, et déjà prise en compte de l’ultime voyage, celui vers la mort. L’on pense alors au poème qui finit Les Fleurs du mal de Baudelaire, « La mort », assimilée à un voyage en bateau « vers l’inconnu / pour trouver du nouveau »

=== Le poème marque donc une opposition entre l’élan initial, celui vers la vie, vers la découverte d’un monde immense et riche, et l’élan final, qui suggère la mort par un envol vers le ciel

CONCLUSION

Le poème de Cendrars raconte en fait un voyage du macrocosme au microcosme. Le poème fait alterner le monde vaste, offert à la découverte par le trajet dans le transsibérien, avec l’immensité du paysage et du décor contemplé, l’immensité des siècles parcourus, et le monde intérieur d’un poète qui se cherche encore, quête spirituelle d’une part, recherche du « moi » poétique d’autre part. 

delaunay.vignette dans Poésie De plus ce poème qui représente bien « l’esprit nouveau » du début du XX° siècle, avec l’ouverture sur le monde, le cosmopolitisme, déjà présent chez Apollinaire, et vécu à Montmartre, le lieu qui réunit alors les artistes du monde entier, tels Picasso, Dali, Chagall… Mais il est original aussi par sa forme, la liberté du vers, de la syntaxe, accentuée par l’absence de ponctuation, et illustre le « simultanéisme », une sorte de « poésie-collage », à l’image du monde moderne, juxtaposition d’images, de sensations… 

Corpus : « La poésie : un voyage vers un ‘‘ailleurs’’ « 

27 avril, 2011
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Introduction

Pour une présentation générale de la poésie et de l’image du poète, voir l’introduction du corpus « La poésie lyrique : chanter l’amour ».

Le terme « ailleurs » suggère un voyage. Or, au sens propre, la poésie, dès son origine, s’associe au thème du voyage, puisque l’épopée grecque nous emmène, dans l’Odyssée, à la suite d’Ulysse dans son long périple pour revenir à Ithaque. Nous découvrons ainsi des lieux fascinants, parfois effrayants. Mais le voyage, dans l’antiquité, peut prendre aussi la forme d’un exil, comme dans les Tristes d’Ovide, qui pleure la patrie perdue. C’est alors la naissance du lyrisme, pour exprimer la souffrance et la nostalgie.

Corpus :  Mais le mot peut aussi être pris au sens figuré : il s’agit alors de partir loin de la réalité connue, dans un « ailleurs » qui peut revêtir des formes multiples. Cela peut être une fuite, une évasion hors du réel, en quête d’un autre monde : celui des rêves, ou des souvenirs, figure du passé ou vision d’un avenir mouvant… ou un monde re-créé, image de l’idéal inaccessible. Mais cela peut aussi représenter une plongée en soi-même, pour se chercher « ailleurs »… et, peut-être, se découvrir « autre ».

Enfin, le « voyage » du poète n’est-il pas également, un voyage dans l’écriture, à la recherche d’un autre langage pour traduire le monde, d’une forme autre, plus belle, plus riche, pour éclairer autrement le réel ?

Baudelaire, peint par Courbet BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal, section « Spleen et Idéal », « L’invitation au voyage »

Le recueil poétique de Baudelaire, publié en 1857, se situe au confluent de trois mouvements littéraires. Du romantisme, Baudelaire garde le « mal du siècle » et les élans de l’âme vers l’idéal inaccessible, qu’illustre la première section, intitulée « Spleen et Idéal ». Il emprunte à Théophile Gautier, théoricien de « l’Art pour l’Art », auquel il dédie son oeuvre, le culte de la beauté formelle, « impeccable », telle celle du paysage décrit dans « l’Invitation au voyage ». Enfin il annonce, par ses « correspondances » créatrices d’images, le symbolisme. Ne nous emmène-t-il pas, en même temps que la femme aimée, dans un « ailleurs » évocateur ?

Rimbaud, peint par Latour RIMBAUD, Poésies, « Rêvé pour l’hiver », 1870
Le recueil Poésies rassemble des oeuvres diverses de Rimbaud, dont les « Cahiers de Douai », poèmes de jeunesse qu’il avait confiés à son ami Démeny en lui demandant de les brûler. Heureusement, celui-ci n’en a rien fait ! Nous pouvons donc mesurer aujourd’hui toute la fantaisie et l’aspect novateur d’un Rimbaud encore jeune. C’est le cas dans  »Rêvé pour l’hiver », qui rompt avec les règles traditionnelles du sonnet, en offrant une vision dynamique du rêve amoureux que l’adolescent développe à l’occasion d’un voyage en train.
Quelles sont les composantes de ce rêve ?

Hérédia, peint par Chabas HEREDIA, les Trophées, « Les Conquérants »

Le recueil des Trophées, paru en 1893, illustre parfaitement le courant du Parnasse auquel se rattache José-Maria de Hérédia, par sa forme, des sonnets à l’esthétique parfaite, comme par ses choix thématiques, qui excluent l’expression du « moi », propre au lyrisme, aussi bien que l’engagement politique. Hérédia y parcourt l’histoire, Grèce et Rome antiques, Moyen Age et Renaissance, y restitue les mythes et les légendes, mais s’attache aussi à dépeindre des paysages dans la section intitulée « La nature et le rêve ». Dans ce sonnet, « Les Conquérants », qui évoque le voyage des conquistadores à bord de leurs « caravelles », le rêve épique ne s’unit-il pas à la beauté du décor ?

Blaise Cendrars CENDRARS, Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France

La 1ère édition, en 1913, du long poème de Blaise Cendrars, illustrée par Sonia Delaunay, a été qualifiée de « premier livre simultané », livre-objet combinant la forme, celle des wagons du train qu’emprunta Cendrars dans sa jeunesse, la couleur, avec un décor peint pour correspondre aux images entr’aperçues, et les mots, placés sur la page comme pour restituer le rythme des vers libres. « Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ? », demande « la petite Jehanne », la compagne de ce voyage recréé dix ans après avoir été accompli. Comment l’écriture  poétique a-t-elle transfiguré le voyage ?

Henri Michaux, peint par Raymond Moretti MICHAUX, Mes Propriétéss

Le recueil de Michaux, Mes propriétés, publié en 1929, doit, certes, au surréalisme, même si cet auteur a toujours refusé tout rattachement à ce mouvement, mais encore plus à la nature même du poète, rejetant la réalité quotidienne, passionné de voyages, réels mais aussi intérieurs, telle l’exploration du subconscient à laquelle il se livra sous l’influence de drogues psychotropes. Le titre « Emportez-moi » sonne comme un appel, mais pourquoi un tel désir ? Et surtout, où est véritablement « l’ailleurs » de Michaux, en dehors ou en dedans ?

Joyce, « Pénible incident » in « Gens de Dublin » – Lecture analytique : l’épilogue

26 avril, 2011
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L’épilogue

(pp. 141-142 de « Quand il fut arrivé… » jusqu’à la fin.)

Joyce,  « Pénible incident », ou, selon les traductions, « Un cas douloureux », est la onzième nouvelle du recueil Gens de Dublin, publié en 1914 à Londres, mais achevé en 1907. Écrit alors que Joyce réside en Italie, le recueil nous ramène sur la terre d’origine de l’auteur, l’Irlande et sa capitale, Dublin. Cette nouvelle restitue la vie d’un Dublinois bien ordinaire, que l’incipit va nous présenter.  Mais un événement est venu perturber le cours régulier de la vie de M. Duffy, sa rencontre avec Mme Sinico, mais cette relation est vite interrompue par un geste audacieux de celle-ci.
Intervient alors une ellipse narrative : 
« Quatre ans s’écoulèrent ». Le héros a repris sa vie paisible, qui va à nouveau être interrompue par un article du journal qui lui révèle le suicide de Mme Sinico, devenue alcoolique, en traversant les rails du tramway. Cette lecture déclenche d’abord une violente colère chez le personnage, puis un revirement intervient. Le personnage retourne alors à Phoenix Park, en proie à de douloureuses réflexions.
Cet épilogue constitue-t-il une « chute », comme cela devrait être le cas dans une nouvelle? Traduit-il une évolution chez le héros ?   

LE RÔLE DU DÉCOR

         Toute la scène est vue à travers les yeux de M. Duffy, c’est-à-dire en focalisation interne, faisant ainsi écho à l’incipit. 

   Dublin, la vilel vue de Magazine Hill _ Jospeh Tudor  L’errance du personnage le conduit dans un lieu de mémoire, celui de sa rupture avec Mme Sinico, comme en un ultime pèlerinage, Phoenix Park dont est ici cité un des sites, « Magazine Hill ». De ce lieu surélevé, il peut alors avoir une vue générale sur les alentours, écho en réalité d’une vue générale sur sa propre vie. 

Le lieu est à l’écart de la ville, mais, tandis qu’au début de la nouvelle, Dublin était rejeté, la cité apparaît ici beaucoup plus chaleureuse : « [s]es lumières brillaient rouges et hospitalières dans la nuit froide ». La rivière est également mentionnée, «  du regard [il la] suivit », et le lecteur ne peut que penser au symbolisme traditionnel de l’eau qui coule, image de la fuite du temps qui emporte tout, comme ici il a emporté la relation entre M. Duffy et Mme Sinico, et Mme Sinico elle-même.

 La gare de Kingsbridge La dernière allusion à un lieu précis est celle à la « gare de Kingsbridge », une des deux gares de Dublin ouverte en 1846, avec son « train de marchandises ». C’est un nouvel écho à l’événement qu’il vient d’apprendre, le suicide de Mme Sinico, puisque le train semble « lui bourdonner aux oreilles répétant les syllabes du nom de Mme Sinico ». 

      On notera le mouvement du regard de M. Duffy, plus révélateur en anglais. « He looked along », il suit d’abord du regard le fil de la rivière, comme si elle ouvrait un espoir, ou, du moins, une perspective. En revanche, « He looked down », « son regard descendit la pente », comme pour traduire un abaissement au plus bas niveau. Or, en abaissant ce regard, ce qu’il découvre le ramène au niveau du corps, du désir physique le plus vulgaire : « des formes humaines étendues ». Face à elles, on constate l’expression pleine de mépris pour ce que l’amour physique a de plus ordinaire, la prostitution : « Ces amours furtives et vénales ». La reprise par « les créatures vautrées au bas du mur » les rabaisse même à une qualification quasi animale. 

=== Le lieu choisi pour l’épilogue forme donc un écho à l’incipit, mais pour souligner une opposition : l’incipit mettait l’accent sur le domaine même de M. Duffy, sur un lieu sécurisant car construit à son image, tandis que cet excipit choisit un cadre extérieur, qui contraint le personnage à envisager sa propre existence par rapport à celle d’autrui.

  UNE DOULOUREUSE INTROSPECTION 

La « halte » qu’effectue M. Duffy au « sommet du Magazine Hill » constitue à la fois un repos dans sa longue errance et un temps de bilan face à l’épreuve subie : or ce bilan va conduire à une douloureuse remise en cause, entre regrets et remords. 

La tombe de James Joyce Ce sont d’abord les regrets qui ressortent. On observe, en effet, un contraste entre son mépris pour les couples enlacés et le sentiment qu’ils font naître en lui : le « désespoir ». Ils le renvoient, en effet, aux limites de sa propre nature, Joyce retrouvant ici le naturalisme d’un Zola : l’homme n’échappe pas à sa nature, et celle de M. Duffy est l’incapacité de jouir : « il avait été proscrit du festin de la vie », amère réplique au texte biblique « L’excellence de l’esprit est un perpétuel festin » (« Proverbes ») ou au philosophe Épictète : « Souviens-toi que tu dois te comporter dans la vie comme dans un festin. (Manuel, XV ; début du IIe s.) ou bien souvenir de V. Hugo, Odes et ballades, V, « aux rois de l’Europe » : « Ô rois, comme un festin s’écoule votre vie ». Ainsi, face aux êtres qui unissent leurs corps librement, Duffy éprouve un regret profond de ce qu’il est, et dont il ne se sent pas responsable : « exaspéré par la droiture même de son existence ». Lui qui s’était cru supérieur à l’humanité ordinaire se sent à présent amputé d’une part de ce qui fait l’homme 

Mais ces premiers regrets vont évoluer en remords, avec le sentiment d’une faute commise envers Mme Sinico. L’accusation qu’il se lance est sévère, renforcée par le double rythme binaire et le lexique fortement péjoratif : « il lui avait refusé la vie et le bonheur », « il l’avait vouée à l’ignominie, à une mort honteuse ». La violence de ses remords va se traduire par une forme d’hallucination, qui le conduit à voir en un « train de marchandises » « un ver à la tête de feu [qui] ondule à travers les ténèbres », image personnifiant le remords qui le ronge et le brûle. 

M. Duffy prend aussi conscience de la solitude. Certes, la solitude n’est pas un fait nouveau pour M. Duffy : l’incipit qui présentait son domicile la révélait déjà. Alors qu’apporte de nouveau l’épilogue ? Par rapport aux couples entrevus, le personnage ne se contente pas d’un simple regard, ni d’un simple rejet. Par la focalisation interne, nous découvrons que M. Duffy interprète la pensée de ces couples : « il savait que les créatures […] désiraient qu’il s’en allât. » Il éprouve donc à son tour, brutalement dans une brève proposition, le sentiment d’exclusion que, jusqu’alors il réservait lui-même aux autres : « Personne ne voulait de lui ». Ainsi on notera la récurrence de son sentiment d’exclusion, mais avec un changement temporel qui en fait un état permanent, irrémédiable : « il était proscrit du festin de la vie ».

 Par rapport à Mme Sinico, M. Duffy vit une hallucination, puisque le souvenir de Mme Sinico est comme inséré en lui, se confondant avec le rythme de sa propre respiration : « le halètement poussif de la locomotive continuait à lui bourdonner aux oreilles répétant les syllabes du nom de Mme Sinico », « le rythme de la locomotive lui martelant toujours les oreilles ». On notera qu’à aucun moment – sauf dans le journal qui annonce sa mort – n’est prononcé le prénom de cette femme, Emilie (diminutif du prénom Emma, faut-il y voir une allusion à Emma Bovary, à laquelle elle ressemble beaucoup par l’échec de son mariage), pas même par le personnage au moment où il pense à sa mort, comme si sa seule existence était celle d’épouse mal mariée. 

Cependant, alors même qu’elle a envahi tout son être, il va commencer à l’éliminer, la tuant ainsi une seconde fois, dans sa mémoire. Déjà, en rappelant son souvenir, il avait introduit un doute : « Un être humain avait paru l’aimer ». Première preuve d’un pessimisme fondamental, à l’image de celui qu’il a pris pour maître, Nietzsche. À la fin de l’extrait, ce doute s’exprime plus fortement : « Il commença à douter de ce que lui rappelait sa mémoire ». Il ne lui reste plus qu’à nier cette femme, ce que vont traduire les trois négations qui suivent, avec des propositions de plus en plus courtes : « Il ne la sentait plus près de lui dans l’obscurité, sa voix ne résonnait plus à son oreille. […] Il n’entendit rien. » Ainsi plus rien n’existe que le seul personnage, avec autour de lui un « silence » qui rappelle celui de la rupture, avec la reprise insistante, comme pour se rassurer lui-même : « La nuit était silencieuse. […] tout à fait silencieuse ». La nouvelle se termine donc sur l’adjectif emblématique du recueil : « seul ». Mais le narrateur précise : « Il sentit qu’il était seul ».

=== Le personnage a donc vécu une transformation : il a pris conscience, et une conscience douloureuse, de sa solitude, qu’il va devoir à présent pleinement assumer.

 CONCLUSION  

Le personnage de Duffy a, en fait, vécu un double dilemme.
D’abord, l
ors de sa relation avec Mme Sinico, comment concilier son propre refus de toute émotion avec la force émotionnelle de la « passion » qu’elle-même exprimait ? Il y avait alors échappé par la rupture, forme de fuite. 

Ensuite, lors de la nouvelle de sa mort, devait-il se sentir trahi par l’alcoolisme et le suicide, qui rabaissait cette femme à laquelle il avait accordé une importance particulière, ou coupable de lui avoir refusé l’amour qu’elle demandait ? À nouveau, il y échappe en l’effaçant de sa mémoire. 

Tout se passe donc comme si les normes conventionnelles à laquelle son éducation avait soumis M. Duffy, même après qu’il les eut rejetées, étaient assez fortes pour marquer à jamais ses choix. Cependant la nouvelle illustre, dans son épilogue, l’idée que Joyce se faisait d’une « épiphanie », moment où le personnage a une sorte d’illumination, en faisant une découverte sur lui-même
Des Dublinois sur Westmorelan Street Joyce trace ainsi un portrait sévère de son Dublinois, produit de sa ville et d’une société que l’écrivain juge profondément aliénée et qu’il a lui-même choisi de fuir. Voici ce qu’il disait de son recueil, en présentant son manuscrit à un éditeur : 
 « Ce livre n’est pas un recueil d’impressions touristiques, mais une tentative pour représenter certains aspects véridiques de la vie dans une des capitales d’Europe ». Plus près de sa véritable intention avec Les gens de Dublin, il a écrit à un ami : « C’est un chapitre de l’histoire morale de l’Irlande. Comme cela, le peuple irlandais pourra une fois au moins bien se regarder dans le beau miroir que j’ai préparé pour lui ».  

Joyce, « Pénible incident » in « Gens de Dublin » – Lecture analytique : la rupture

26 avril, 2011
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La rupture

(pp. 135-136 de « Il allait… » à « … sa musique. »)

Joyce,  « Pénible incident », ou, selon les traductions, « Un cas douloureux », est la onzième nouvelle du recueil Gens de Dublin, publié en 1914 à Londres, mais achevé en 1907. Écrit alors que Joyce réside en Italie, le recueil nous ramène sur la terre d’origine de l’auteur, l’Irlande et sa capitale, Dublin. Cette nouvelle restitue la vie d’un Dublinois bien ordinaire, que l’incipit va nous présenter.  Mais un événement est venu perturber le cours régulier de la vie de M. Duffy, sa rencontre avec Mme Sinico, lors d’une soirée à l’opéra. Après plusieurs rendez-vous à l’extérieur, leur relation devient plus intime car leurs goûts communs les rapprochent. Comment le lien sentimental entre les deux protagonistes évolue-t-il ? 

LA COMMUNION DES ÂMES 

Le cadre spatio-temporel va jouer un rôle dans l’évolution de leur relation. Après les promenades dans Dublin, en effet, M. Duffy, gêné par « ces façons clandestines » (p. 134), a obtenu d’être reçu chez Mme Sinico, avec laquelle il partage sa « vie intellectuelle », dans un lieu plus intime : « son petit cottage des environs de Dublin ». La première phrase de l’extrait souligne la fréquence de leur rencontre, par le chiasme en anglais que la traduction ne restitue pas : « He went often to her little cottage outside Dublin; often they spent their evenings alone. » Ces soirées se passent dans un lieu clos, la « chambre tranquille [en anglais « discreet »] et obscure », comme protégé du monde extérieur, comme le révèle le rappel de « leur isolement ». Dans le second paragraphe de l’extrait, est même employé le terme « confessionnal », qui apporte à cette relation une connotation religieuse.

Pour accentuer cette intimité, on notera aussi le faible éclairage : « Maintes fois elle laissait l’obscurité les envahir, évitant d’allumer la lampe ».

=== Ainsi le cadre se prête à une communion paisible des âmes

Leur intimité se renforce graduellement, comme si ce cadre influait sur leur caractère : « leurs pensées se mêlant, ils abordèrent des sujets moins impersonnels », « La chambre tranquille et obscure, et leur isolement, la musique qui leur vibrait encore aux oreilles les unissaient ». Ainsi l’un et l’autre évoluent.

Pour M. Duffy, le commentaire du narrateur, fondé sur une comparaison (« La société de Mme Sinico était à M. Duffy ce que la chaleur du sol est à une plante exotique »), révèle l’épanouissement du personnage à travers cette relation qui semble correspondre à sa nature profonde. N’avait-il pas déjà chez lui toute l’œuvre de Wordsworth ? N’avait-il pas aussi un goût prononcé pour l’opéra ? Grâce à elle, il accède au monde des sentiments et touche à une forme d’idéal, évolution traduite par le rythme ternaire : « Cet accord exaltait l’homme, arrondissait les angles de son caractère, communiquait de l’émotion à sa vie mentale ». 

Cependant, il reste totalement centré sur lui-même, comme le révèle une sorte de narcissisme ( « il se surprenait à écouter le son de sa propre voix » ), et dans sa réflexion il va jusqu’à s’identifier à un « ange » : « Il eut l’intuition qu’aux yeux de Mme Sinico il assumerait { en anglais « ascend ») la stature d’un ange ». Il vit donc leur relation de façon totalement platonique, excluant toute dimension sexuelle, son amie étant « l’âme-sœur » du Banquet de Platon. Cela explique le discours qu’il tient, contredisant ce qu’il est en train de vivre, prononcé d’une « étrange voix impersonnelle », comme en une sorte de dédoublement intérieur. Tandis qu’il vit, en effet, cette union, il met en avant « la solitude incurable de l’âme », autre thème particulièrement romantique exprimant l’impossibilité d’atteindre cet idéal de fusion parfaite. Mais, rapporté au discours direct, l’aphorisme, « Nous ne pouvons pas nous livrer, […] nous n’appartenons qu’à nous-mêmes », révèle en fait une peur d’autrui, du désordre qu’autrui pourrait apporter en perturbant sa vie intérieure, en remettant en cause ses convictions et ses certitudes.   

Une image de Mme Sinico Le comportement de Mme Sinico est en opposition à celui de M. Duffy comme le souligne la conjonction « tandis que », à la fois parallélisme dans l’évolution, mais les différenciant : « la nature ardente de Mme Sinico s’attachait de plus en plus à son compagnon ». L’adjectif « ardente » (en anglais « fervent ») la dote d’une passion brûlante dont M. Duffy est lui-même dépourvu et que va confirmer la présentation de son geste : « elle avait manifesté tous les signes d’une surexcitation intense », elle « lui saisit la main avec passion ». Or ce geste introduit dans la relation qu’elle entretient avec M. Duffy une connotation physique, que celui-ci excluait totalement.

=== Le premier paragraphe de l’extrait partait d’une relation habituelle, quasi routinière, avec l’emploi de l’imparfait ou l’adverbe « souvent », mais il finit sur un événement perturbateur, signalé par l’indice temporel, « un soir », et le passage au passé simple.

  LA RUPTURE          

Le second paragraphe marque un changement de cadre très net, avec un rejet du lieu clos : « l’atmosphère de leur confessionnal désormais profané ». La formule révèle pleinement la faute de Mme Sinico, qui a introduit une dimension physique dans une relation que M. Duffy voulait épurée. Mais son nom ne débute-t-il pas par « sin », signifiant « péché » en anglais ? Faut-il y voir un pur hasard, quand on sait l’importance qu’attache Joyce au choix des noms de ses personnages ? 

 Phoenix Park en automne La rupture se déroule donc dans un lieu extérieur, l’après-midi et non plus le soir, puisqu’ils se donnent rendez-vous « dans une petite pâtisserie à côté de la grille du parc », dans lequel ils vont ensuite se rendre. On retrouve alors le décor de la ville, puisqu’il s’agit de Phoenix Park, auprès duquel se trouve le faubourg de Chapelizod où réside M. Duffy. On notera la durée de cette scène, signalée par le verbe « arpentèrent » et l’indice temporel, « pendant près de trois heures », mais nous n’en connaîtront pas le détail, la rupture se trouvant seulement résumée. Le lecteur prêtera à peine attention à la mention du « tramway », qui doit, en toute logique, ramener Mme Sinico chez elle, pourtant ce lieu de la séparation prendra tout son sens lorsqu’il découvrira la façon dont elle va mourir, en franchissant les rails de ce même tramway, comme en un ultime pèlerinage. 

Toute la scène est racontée selon le point de vue de M. Duffy : c’est lui qui réagit, au geste de Mme. Sinico, et c’est à travers ses yeux que nous observons et jugeons le trouble de sa compagne. Sa réaction est immédiate, exprimée dans une phrase brève : « M. Duffy fut extrêmement surpris ». Le geste de Mme Sinico le ramène brusquement à la réalité qu’il avait oubliée : les êtres humains ne sont pas de purs esprits, ils ont un corps et celui-ci ressent des désirs. Ainsi celle-ci le ramène à une dimension humaine banale, et sa relation n’est plus alors que les prémices d’un adultère tout aussi banal, d’où sa désillusion : « La façon dont elle interprétait ses paroles le déçut ». 

Tous les actes qui suivent traduisent sa colère, et c’est lui qui prend l’initiative de leur rupture, même si la formule « ils convinrent » suggère l’accord de Mme Sinico. Mais avait-elle vraiment le choix ? En fait, la décision lui appartient, à la fois une façon de la punir d’avoir brisé son idéal et une peur du désordre qu’elle pourrait introduire dans sa vie. Rompre est fuir ce désordre, comme le sous-entend l’aphorisme rapporté directement : « tout lien, disait-il, vous lie à l’affliction », en anglais : « every bond […] is a bond to sorrow ». 

De son côté, Mme. Sinico apparaît totalement soumise aux volontés de M. Duffy, lui renvoyant « ses livres et sa musique », c’est-à-dire ce qui les avait unis, tout comme deux amants, lors de leur rupture, se renvoient leurs lettres. Cependant, tout son être refuse cette rupture, comme le révèle sa réaction physique, « elle se mit à trembler si violemment », mais cela n’attendrit en rien son compagnon, puisque c’est bien lui qui définit cette réaction par le terme « crise », comme s’il s’agissait d’une forme de folie.   

=== Le récit est allé très vite : en 2 pages recto-verso la relation sentimentale naît, se construit, et se dénoue. Elle n’apparaît donc que comme une sorte de parenthèse dans la vie des deux personnages

CONCLUSION 

Cet extrait fait apparaître le contraste entre les deux personnages un temps rapprochés. Leur rupture s’explique par le contexte dans lequel ils ont baigné, une imprégnation romantique jointe à un enseignement religieux. Dans ces deux cas, en effet, est posée une séparation entre le corps, part matérielle de l’homme, jugé impur, et l’âme, force spirituelle seule digne d’être entretenue. Or, si Mme Sinico ne voit par de dichotomie entre ces deux parts, et laisse s’exprimer son désir d’une union totale, M. Duffy, lui, a choisi de consacrer sa vie au culte de son seul esprit. 

En même temps cet extrait met en place un thème que l’on retrouve dans toutes les nouvelles de Gens de Dublin, « le silence ». Tout comme Mme Sinico, contrainte à un geste accompli en « silence » face aux discours de M. Duffy, celui-ci ne trouve plus rien à lui dire dans les ultimes instants de leur rupture. Se confirme ainsi ce que l’extrait nommait « la solitude incurable de l’âme » : les personnages sont comme paralysés, enfermés dans leur vie étroite ; ils veulent atteindre un idéal qu’ils pressentent, mais n’y parviennent pas, par conformisme moral.   

 

 

Joyce, « Pénible incident » in « Gens de Dublin » – Lecture analytique : l’incipit

26 avril, 2011
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L’incipit

(p. 131, jusqu’à « … pour écrire »)

« Pénible incident » (ou, selon les traductions, « Un cas douloureux ») est la onzième nouvelle du recueil Gens de Dublin, publié en 1914 à Londres, mais achevé en 1907. Écrit alors que Joyce réside en Italie, le recueil nous ramène sur la terre d’origine de l’auteur, l’Irlande et sa capitale, Dublin. Cette nouvelle restitue la vie d’un Dublinois bien ordinaire, que l’incipit va nous présenter. 

Joyce,  L’incipit, rapide dans une nouvelle vue sa brièveté, n’en a pas moins un double rôle : informer le lecteur pour lui permettre d’entrer dans le récit, le séduire, en retenant son attention. Celui-ci répond-il à cette double fonction ? 

LE CADRE SPATIAL 

 Vue de Chapelizod Si l’on observe la structure de la description, on constate qu’elle procède du plus général au plus précis. Est d’abord mentionnée, en effet, la situation géographique : « Chapelizod », un des faubourgs de Dublin. Puis vient la situation du domicile lui-même, décrit dans son environnement : une « vieille maison obscure », et ce qu’il voit « de ses fenêtres ». La description passe ensuite au mobilier, d’abord par une vue globale de la pièce, puis en citant le détail des meubles, enfin les objets plus précis qui composent le décor : « le linge » du lit, la « petite glace », la « lampe ». Enfin intervient un gros-plan sur la bibliothèque, avec l’évocation précise des livres, et, dans la continuité, du « pupitre ». 

=== Cette description, minutieusement construite, répond parfaitement aux exigences du réalisme en situant le personnage dans son décor, dont les moindres détails sont restitués. Pourtant, on peut s’interroger sur sa fonction réelle, puisqu’on ne l’y verra pas vraiment vivre

Dans l’élaboration de cette description, on observe également une évolution du point de vue narratifLe texte débute avec une focalisation omnisciente, comme le révèle l’explication de son choix de lieu de vie dans la 1ère phrase : « parce qu’il désirait … ». Le narrateur semble avoir une connaissance parfaite de son personnage. L’on observe ensuite une évolution : le narrateur se confond avec le personnage, dont il adopte le « regard », et à qui il semble déléguer la parole : « Il avait acheté lui-même… ». Mais l’essentiel du texte montre un retrait du narrateur, notamment à travers les choix verbaux : répétition  d’ « il y avait », recours à la voix passive (« avait été aménagée », « était suspendue », « étaient rangés », « était posé ») ou verbe pronominal, tel « s’alignait ». 

=== Ces points de vue jouent ainsi un double rôle. D’abord, il s’agit d’attirer l’attention sur le personnage principal, de montrer que c’est son point de vue qui va donner sens à la nouvelle. Ensuite cela donne un ton impersonnel à la description : le héros semble moins intéressant que son cadre de vie, il semble presque dépourvu d’humanité. 

LE PORTRAIT DU PERSONNAGE 

Mais il convient de ne pas oublier que ce cadre a été choisi par le personnage : il est donc révélateur de sa personnalité et de son mode de vie. 

        C’est sur la solitude que s’ouvre l’incipit, car la 1ère phrase révèle une forme de misanthropie du personnage, à travers son rejet de Dublin, et de sa citoyenneté dublinoise : « il désirait demeurer le plus loin possible de la ville dont il était citoyen ». Déjà cela le marginalise, à une époque où l’action politique contre l’Angleterre est à son apogée et où beaucoup de ses concitoyens s’engagent.  De plus, son jugement sur les « autres faubourgs de Dublin », est très méprisant, à travers trois adjectifs : « misérables » révèle son mépris pour le petit peuple, dont il entend se distinguer, « modernes » traduit une volonté de rester ancré dans les valeurs traditionnelles, le rejet du progrès et des changements qu’il peut apporter, « prétentieux » va dans le même sens, avec un refus de l’étalement des richesses propre à des parvenus. 

D’ailleurs même dans « Chapelizod » sa maison est à l’écart. Cependant l’on notera le contraste entre les deux vues : d’un côté, on a « une distillerie désaffectée », représentative de l’image traditionnelle de l’Irlande, terre qui produit la bière et le whisky. Mais le lieu est abandonné, et le regard y est « plongea[nt] », comme une descente dans les bas-fonds d’une ville.
Vue de la LIffey D’un autre côté, on voit « la rivière peu profonde » : il s’agit de la Liffey, rivière qui traverse Dublin. Mais la le regard « remontait le long », comme dans la quête d’un horizon à travers cette touche de nature, image romantique dans ce décor plutôt sinistre. 

Une cellule monastique Le décor montre un mode de vie proche de l »ascèse. On constate, en effet, la modestie de l’appartement, puisque tout luxe est refusé : il n’y a ni « tapis », ni « tableaux », ni bibelot. Les seuls objets évoqués sont utilitaires. De même, les matériaux sont quasiment bruts : il n’y a pas de vernis, de tissu, rien qui puisse suggérer le confort ou la douceur, à l’exception de la cheminée, mais elle aussi essentiellement utilitaire. On observe le terme « fer », employé deux fois, la mention deux fois aussi du « bois blanc », les « chaises cannées ».  Les tons sont surtout le noir et le blanc, la seule touche de couleur étant le « rouge » de la couverture. Parallèlement, le gros plan met l’accent sur la vie intellectuelle, avec l’insistance sur la « bibliothèque » et le « pupitre » qui semble attendre l’écrivain, dont on imagine la vie quasi monastique.

Une blibliothèque rangée De cette description du lieu se dégage l’image d’un homme qui souhaite que rien ne vienne perturber son existence bien réglée, selon un ordre moral strict. Les formes géométriques, et l’ordre parfait de la pièce, où chaque élément est à sa place, révèlent, en effet, un esprit d’ordre, comme les « cases » du « pupitre », ou le rangement des livres, plutôt étrange puisqu’il renvoie à leur « format » et non à un ordre alphabétique…, montrant donc le souci prudent d’équilibrer leur poids sur les « étagères ». De même, on note le souci de protection que révèlent le « garde-feu » et les « chenets » pour soutenir les bûches dans le foyer. 

En revanche, le choix des livres traduit un contraste. Pour le premier, « un Wordswoth complet », il s’agit de l’œuvre d’un des plus grands poètes romantiques anglais, ouvrage surprenant chez cet homme d’ordre. Porterait-il en lui une aspiration à un monde idéal ? Ou bien se reconnaît-il dans l’idée romantique de la supériorité du poète sur l’homme ordinaire ?  Le second mentionné, « un exemplaire du Maynooth catechism », révèle l’éducation religieuse du personnage, auquel d’ailleurs son nom fait référence, donc une forme de rigueur morale et de conformisme. De plus Joyce lui donne le nom d’un personnage ayant réellement existé, James Duffy (1809-1871), un éditeur dublinois qui publia de nombreux ouvrages catholiques dans des éditions à bas prix, (publiés après le Maynooth catechism cependant) mais aussi des textes politiques ou appartenant à la littérature traditionnelle irlandaise. 

=== Cette pièce, ayant tout de la cellule du moine, rapproche le héros d’un personnage, l’ermite, retiré dans la solitude et vivant une vie ascétique, toute entière tournée vers le développement d’un idéal de spiritualité élevé.

 CONCLUSION 

À travers cette description, Joyce met en place l’image d’un personnage solitaire, vivant replié sur lui-même, dans une solitude un peu orgueilleuse, car on l’imagine satisfait de la vie réglée qu’il mène, l’ordre extérieur étant le reflet de sa rigueur psychologique. Cela va se confirmer au fil du texte : « M. Duffy abhorrait tout indice extérieur de désordre mental ou physique » (p. 132), «  sa chambre témoignait toujours de son esprit d’ordre » (p. 136). 

Cet incipit semble inscrire la nouvelle dans le registre réaliste, beaucoup de romans réalistes débutant ainsi par une description détaillée des lieux (cf. Balzac, Stendhal, Flaubert…). Cependant bien des éléments nous manquent : nous ne savons pas son âge précis – on ne l’apprendra que par déduction, Mme Sinico mourant à « quarante-trois ans », quatre ans après leur rencontre, où il la jugeait avoir « un ou deux ans de moins que lui » : il a donc environ quarante ans –, nous ne savons rien de sa famille, de son milieu social, de ses études, de sa jeunesse… Il s’agit donc plutôt d’une « parodie » de réalisme, d’autant plus qu’à aucun moment cette pièce ne jouera le moindre rôle dans l’intrigue. Nous ne la retrouverons mentionnée qu’après la rupture avec Mme Sinico, comme pour nous permettre de mesurer l’évolution du personnage, à travers les nouveaux ouvrages de Nietzsche et la phrase écrite citée [ cf. p. 136]. Le texte est donc plus proche du symbolisme que du réalisme

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