« Le Chêne et le Roseau »
La fable 22 ferme le 1er livre du 1er recueil des Fables de La Fontaine, paru en 1668, et dédié à « Monseigneur le Dauphin ». Il s’agit toujours d’une forme d’apologue, qui répond à la volonté classique d’associer « plaire et instruire », mais qui n’utilise plus d’animaux, mais, pour la seule fois dans ce livre I, des végétaux.
À l’époque où il publie son premier recueil de fables, La Fontaine est déjà connu pour ses contes libertins. Il a perdu son protecteur Fouquet, arrêté et emprisonné sur ordre du roi en 1661, et est devenu « gentilhomme servant » de la duchesse d’Orléans. les Fables vont lui offrir l’occasion de tenter de rentrer dans les bonnes grâces du roi. En digne partisan des Anciens dans la « Querelle des Anciens et des Modernes », La Fontaine puise son inspiration chez les auteurs antiques, ici Ésope. Mais la fable forme aussi une conclusion du livre I, qui inverse la 1ère fable, « La Cigale et la Fourmi », puisqu’ici c’est le plus faible qui triomphe.
Comment le poète met-il en scène cette victoire du roseau ?
L’ART DU RÉCIT
Le récit suit un schéma narratif traditionnel. La Fontaine pose longuement la situation initiale, à travers deux discours annoncés, aux vers 1 et v. 9, qui nomment les personnages, le « Chêne » et « l’Arbuste », pour minimiser dès le début le roseau.
Le récit des événements par lui-même est rapide. L’élément perturbateur est la tempête, qui arrive avec brutalité, comme le signale le second hémistiche du vers 24 : « Comme il disait ces mots ». La Fontaine la met en valeur par plusieurs procédés, d’abord le long enjambement qui la rapproche progressivement des vers 25 à 27. Puis, elle se trouve à la fois personnifiée par la périphrase et accentuée par l’hyperbole : « Le plus terrible des enfants / Que le Nord eût porté jusque là dans ses flancs. » Ajoutons à cela le jeu des sonorités, associant la rudesse du [ R ] qui accompagne [ t ], [ d ] et [ k ], et l’imitation du souffle du vent déchaîné avec [ f ], [ s ] et [ z ].
La péripétie, très rapide en deux octosyllabes consiste en le combat des végétaux contre les éléments déchaînés : deux vers courts, montrent en parallèle chacun des deux au vers 28, tandis que la tempête est amplifiée au vers 29.
La situation finale est la chute du chêne que le vent « déracine ».
À la façon d’une pièce de théâtre, La Fontaine pose un décor, brièvement esquissé, un cadre naturel avec la présence de l’eau dans la périphrase « sur les humides bords des Royaumes du vent » (v. 5), et le « feuillage » dont l’étendue est reproduite par l’enjambement du vers 12 : « feuillage / Dont je couvre le voisinage ». Tout au long de la fable le vent est présent, minimisé au début dans deux octosyllabes enjambant : « le moindre vent qui d’aventure / Fait rider la face de l’eau ». Au vers 10, on observe l’opposition entre l’« aquilon », un vent du nord, violent, et le « zéphyr », légère brise, vent doux venu de l’ouest, qui se marque déjà dans les sonorités. Enfin arrive la tempête au vers 26. Ce vent est donc bien l’arbitre du conflit, et c’est lui qui lui apporte son dénouement.
C’est, en fait, le dialogue qui occupe la place principale dans la fable. Les discours rapportés permettent la personnification des végétaux : chacun d’eux, par son langage, exprime son caractère.
Le Chêne se signale par son orgueil et son narcissisme. Il oppose, en effet, la faiblesse du roseau à sa propre puissance. Le roseau est comme amoindri par le lexique, « un Roitelet », « le moindre vent », et le choix de l’octosyllabe. Son attitude figure le signe traditionnel de soumission : « Vous oblige à baisser la tête ». En revanche, le chêne souligne sa force, dans d’amples alexandrins, par la comparaison de son « front » « au Caucase », et par sa double supériorité affirmée face aux éléments naturels : défensive d’abord (« arrêter les rayons »), puis offensive : « Brave l’effort de la tempête ». Enfin il se montre fier de son rôle de protecteur grâce à son « feuillage », aux vers 11 et 12.
On note également sa fausse compassion, pitié chargée de mépris. C’est sur ce thème et ce ton qu’il ouvre, au vers 2, et ferme, au vers 17, son discours. Mais cette pitié lui permet, en fait, d’étaler sa propre supériorité, notamment dans sa proposition de protection. Si l’hypothèse, « si vous naissiez », conduit, en effet, à la généreuse proposition, « Je vous défendrais de l’orage », la restriction « Mais vous naissez » annule cette possibilité. Or, le chêne savait très bien que son offre était irréalisable. Il ne la fait donc que pour montrer, avec beaucoup de mépris, sa propre suprématie.
Le Roseau, lui, malgré sa faiblesse, qui vient d’être affirmée, se révèle habile. Dans un premier temps, en effet, il fait semblant de croire à la générosité du chêne : « Votre compas/si/on », terme ironiquement amplifié par la diérèse, « part d’un bon naturel ». Il feint même de le rassurer : « mais quittez ce souci ». Mais la suite de son discours affirme sa propre force, dont il vient, dans son début de réponse, de donner l’exemple : ne pas contredire, ni entrer dans un conflit, mais faire preuve de souplesse, de flexibilité. Il inverse donc l’image donnée par le chêne, mais calmement, sans colère : « Les vents me sont moins qu’à vous redoutables », « Je plie et ne romps pas ». Cependant, sa conclusion sonne comme une menace, marquée par l’opposition temporelle : « vous avez jusqu’ici » et « attendons la fin ».
Cette fable présente donc un conflit, fréquent chez La Fontaine, entre dominant et dominé, à la fois physique (la force face à la faiblesse) et psychologique, l’assurance orgueilleuse face à la prudence modeste.
LE SENS DE LA FABLE
Comme toutes les fables de La Fontaine, celle-ci est polysémique : elle se lit à plusieurs niveaux.
On y découvre d’abord une opposition des valeurs morales. Le défaut humain dénoncé par l’orgueil et la vantardise du chêne est, une fois de plus (cf. « L’Homme et son image »), l’amour-propre excessif. La Fontaine le montre comme une illusion, puisque le chêne se retrouve « déracin[é] ». C’est sur cette chute que se termine la fable, venant rappeler que tout être humain, même le plus puissant, est mortel.
En revanche, les qualités représentées par le roseau sont à rattacher au double sens du verbe « plier ». Il s’agit d’une part dela flexibilité : on doit savoir s’adapter aux circonstances, laisser passer la « tempête » sans la heurter de front, éviter d’entrer dans un combat que l’on risque de perdre. C’est donc une forme de sagesse prudente. Mais c’est, d’autre part, une stratégie habile, une sorte de feinte pour éviter la chute. Après la « tempête », le roseau peut se redresser. La Fontaine invite ainsi le lecteur à une forme de méfiance : on peut toujours trouver un plus puissant que soi.
Cela suggère alors une autre interprétation, une opposition sociale.
Le chêne est, traditionnellement, l’arbre royal – pensons à l’image de Saint-Louis – , symbole de toute-puissance. Il représente les puissants de la société, les privilégiés, ceux qui étalent leur puissance en méprisant leurs inférieurs ou en jouant les généreux protecteurs. La périphrase finale, « Celui de qui la tête au ciel était voisine », lui accorde une puissance qui en fait même presque un dieu. Face à lui, le roseau représenterait alors les plus faibles, qui n’ont pas d’autre solution face aux puissants que de rester modestes, de ne pas entrer dans un conflit, sagesse sociale prudente fréquemment exprimée dans le livre I.
Mais ces deux personnages peuvent aussi être mis en relation avec ce qu’a vécu La Fontaine, donnant à la fable un sens autobiographique. Le chêne fait penser à Fouquet, voire au Roi Louis XIV lui-même. Que figurerait alors la tempête ? Si nous voyons Fouquet dans le chêne, elle ne peut être que le roi qui le « déracine ». Si le chêne est le roi, la tempête devient le souffle divin lui-même, qui viendrait lui rappeler que lui aussi est mortel, que ses « pieds touchaient à l’Empire des Morts ».
La dernière question est donc : qui serait alors le Roseau ? Il ne peut être que La Fontaine lui-même, sa fable illustrant son art de « plier », c’est-à-dire de feindre de se limiter à des apologues, à de petits récits uniquement faits pour divertir, de rester modeste par ce choix d’écriture. Mais, en réalité, la fable serait une façon habile de résister à sa façon, et de combattre habilement les puissants.
CONCLUSION
Cette fable nous conduit à rappeler la définition de l’apologue : un court récit à valeur métaphorique qui conduit à une leçon. Elle remplit parfaitement ici son double objectif, « plaire » par le récit, rendu vivant par les discours et les rythmes, et mis en scène, « instruire » par le sens qui se dégage de la fable.
Mais chez La Fontaine, il convient de dégager la polysémie des fables : au sens moral, héritage traditionnel de son modèle, Ésope, il ajoute un sens social, né de l’observation de sa société, et tout particulièrement de la Cour. Les fables sont, donc, nourries de son expérience. Ainsi le livre I, qui s’ouvrait avec une cigale « artiste » condamnée à mort par son imprévoyance et la dureté de la puissante fourmi, se termine à l’inverse : le roseau n’est faible qu’en apparence, car, lucide, il sait résister aux obstacles en faisant de sa faiblesse une force.
[On pourra compléter cette étude par la lecture de la fable d’Anouilh, « Le Chêne et le Roseau, de celle de Queneau, « Le Peuplier et le Roseau », publié dans Battre la campagne.]
« La Mort et le Bûcheron »
Cette fable 16 se situe dans la seconde partie du 1er livre du 1er recueil des Fables de La Fontaine, paru en 1668, et dédié à « Monseigneur le Dauphin ». Comme tout apologue, qui répond à la volonté classique d’associer « plaire et instruire ». Mais ici La Fontaine n’utilise plus d’animaux, pour montrer directement l’homme et ses défauts.
À l’époque où il publie son premier recueil de fables, La Fontaine est déjà connu pour ses contes libertins. Il a perdu son protecteur Fouquet, arrêté et emprisonné sur ordre du roi en 1661, et il est devenu « gentilhomme servant » de la duchesse d’Orléans. Les Fables vont donc lui offrir l’occasion de tenter de rentrer dans les bonnes grâces du roi.
En digne partisan des Anciens dans la « Querelle des Anciens et des Modernes », La Fontaine puise son inspiration chez les auteurs antiques, ici Ésope, mais aussi Sénèque (Lettre à Lucilius, CI), repris par Montaigne dans les Essais (Livre II, chap. XXXVII). Comment le poète aborde-t-il le sujet grave de la mort ?
L’ART DU RÉCIT
Comme le plus souvent, la fable reprend une structure traditionnelle, simple. La situation initiale brosse le portrait du personnage en 4 vers aux rimes embrassées. L’élément perturbateur est introduit par « Enfin ». En deux vers, reliés par la rime suivie, il forme un arrêt, une rupture marquée par le passage au présent de narration, qui ouvre sur la réflexion. Le monologue intérieur, rapporté au discours indirect libre, avec 6 vers aux rimes suivies, occupe la place centrale dans la fable. L’élément de résolution est l’arrivée de la mort. Mais le dialogue avec elle mort, en 4 vers aux rimes croisées, n’apporte aucun réel dénouement. La vie du bûcheron se poursuivra, sans changement. Cette fable illustre bien les atouts de l’apologue : un récit bref, une intrigue simple, un personnage familier, associés à la variété des discours et de la versification.
La Fontaine, en quelques traits, peint son personnage, mais ce rapide croquis n’en est pas moins très évocateur. Il reproduit d’abord sa marche pénible par le rythme binaire des vers 1 à 4, à la césure bien marquée, par la récurrence du son [e] ouvert ou fermé, et par la reprise du [p] pour marteler les « pas pesants ». À cela s’ajoutent le choix de l’imparfait qui en accentue la durée, et les jeux sonores. Par exemple, au vers 2, l’association du [f] aux sifflantes ([s] et [z]) semble imiter l’essoufflement. La pesanteur est suggérée, elle, par les voyelles nasales graves : l’association, au centre de la rime embrassée, d’« ans » et « pesants », et l’écho sonore avec « gémissant » accentuent la fatigue.
Ce portrait s’inscrit dans le registre pathétique, car La Fontaine cherche à susciter la compassion du lecteur dès l’ouverture de la fable, par la qualification « Un pauvre bûcheron ». L’ordre des vers provoque le même sentiment : on le voit d’abord écrasé, comme caché par « tout couvert de ramée », hyperbole renforcée par l’écho sonore d’[u] et [R], avant de vraiment le distinguer. Le but de son trajet est retardé par l’accumulation des images qui dépeignent sa douleur, en associant le concret (« sous le faix du fagot ») et l’abstrait (« aussi bien que des ans »), association reprise en parallèle par « n’en pouvant plus d’effort et de douleur » et « fagot / malheur ». Ce but lui-même est rendu miséreux par le choix lexical : « sa chaumine enfumée ».
Enfin les discours rapportés contribuent à donner vie au récit.
Nous trouvons d’abord le discours indirect libre, qui précise le portrait du personnage en nous faisant pénétrer dans sa conscience : « il songe à son malheur ». La modalisation fait varier le ton de la plainte. Il s’ouvre sur 2 questions rhétoriques, aux vers 7 et 8, dont la réponse est, de toute évidence négative : la rime entre « monde » et « machine ronde » et le comparatif, « un plus pauvre », amplifient l’état pathétique du personnage. La suite répond à ces questions dans une phrase nominale, rendue brutale par la reprise du [p] et la double négation, « point » et « jamais ». Le chiasme, au centre duquel se trouvent les indices temporels, « quelquefois » et « jamais » marque la gradation dans sa misère.
Cette misère trouve son explication dans l’énumération qui suit, glissant du discours rapporté au récit pris en charge par le narrateur, avec l’enjambement du vers 10 sur l’octosyllabe du vers 11. Il mentionne d’abord les charges naturelles (« sa femme, ses enfants »), pour passer aux charges liées au fonctionnement de la société : « les soldats », qui pillent sans scrupules les campagnes, « les impôts », accablants pour le tiers état, « les créanciers », qui nous rappellent « La Cigale et la Fourmi », enfin « la corvée », qui supprime une journée de travail. Le commentaire du narrateur clôt ce monologue en reprenant le titre de la fable XV « Lui font d’un malheureux la peinture achevée », Le bûcheron est donc le parfait représentant de tous les malheureux accablés.
Le récit se termine par le dialogue avec la mort, et La Fontaine choisit ici les rimes croisées, comme s’il s’agissait de reproduire un affrontement. On note aussi le chiasme rythmique, deux alexandrins encadrant les octosyllabes, qui marque le contraste entre lenteur et rapidité. La rapidité porte sur l’allégorie de la mort avec deux courtes propositions juxtaposées, le 2nd hémistiche du vers 13 et l’octosyllabe du vers 14, avec le discours indirect. Face à cela, la justification du bûcheron est plus longue et embarrassée : l’octosyllabe enjambe sur l’alexandrin. De plus, la remarque finale, « tu ne tarderas guère », est plutôt ambiguë. Elle peut aussi bien signifier que cela ne lui prendra pas beaucoup de temps, ne la retardera pas dans tes autres fonctions, que se rattacher à l’âge du bûcheron, comme pour la faire patienter : elle « ne tardera[...] guère » à venir pour de bon le chercher.
La Fontaine a donc voulu conserver l’aspect plaisant de cette pirouette finale, empruntée à Ésope, qui crée une chute, pour révéler la peur de la mort chez tout homme.
LE SENS DE LA FABLE
La morale est ici explicite, au présent de vérité générale, généralisation soutenue par le pronom « nous » et la mention « des hommes », et elle se distingue nettement par le changement métrique : 4 heptasyllabes, vers plutôt rares. Mais là encore plusieurs sens peuvent être dégagés, si l’on tient compte du passage en italique qui relie les fables 15, « La Mort et le Malheureux », et 16, « La Mort et le Bûcheron ».
Ces vers posent d’abord une critique morale. Le refus de la mort est, en effet, présenté comme une forme d’aveuglement de la part des hommes : si « Le trépas vient tout guérir », l’homme devrait se réjouir d’échapper à sa « maladie », c’est-à-dire à son malheur. Mais l’homme est aveuglé par sa peur de la mort, et préfère se résigner à sa souffrance : « Plutôt souffrir que mourir » est une phrase elliptique, avec la rime intérieure, qui sonne comme un proverbe, une « devise » effectivement. La vraie sagesse serait donc d’accepter paisiblement le fait que l’homme soit mortel, et même, comme les philosophes stoïciens de l’antiquité, de savoir choisir la mort plutôt que d’accepter une vie indigne ou intolérable.
Mais, à ce premier sens, explicite, nous devons ajouter la dimension sociale de la fable, nettement critique, en portant notre attention sur le passage en italiques qui sépare les fables 15 et 16. La Fontaine y présente l’écriture de la première, « La mort et le malheureux », de façon un peu énigmatique, comme une obligation : « une raison qui me contraignait de rendre la chose ainsi générale ». Il désigne alors la fable 15 comme « ma Fable » et justifie sa modification de son modèle « à cause du mot de Mécénas ». Cela lui permet d’insister sur « La mort et le bûcheron », présentée, elle, comme le retour à une fidélité à «[s]on original », en raison d’un reproche qui lui aurait été fait. Ce n’est donc plus « sa » fable, mais « celle d’Ésope ». Mais, quand on lit la fable d’Ésope, on s’aperçoit que celui-ci n’avait pas du tout développé le portrait du personnage, et ne l’avait en aucun cas fait parler… Or, c’est ce qui occupe la plus grande partie de « La mort et le bûcheron ».
Cela conduit donc le lecteur à penser que cette explication n’est, en réalité, qu’une habile stratégie pour détourner l’attention du véritable sens de la fable « La Mort et le Bûcheron », la formulation d’une critique sociale, celle d’une monarchie absolue qui accable ses sujets de misère. Les guerres de succession, si nombreuses dans la seconde moitié du XVII° siècle multiplient les « soldats » pilleurs et conduisent le pouvoir royal à augmenter les « impôts » pour renflouer le trésor public. Ainsi, La Fontaine accuserait les puissants de profiter de la résignation du peuple : « Mais ne bougeons d’où nous sommes » ne serait donc pas tant un conseil qu’un regret.
CONCLUSION
Cette fable nous propose un tableau pathétique, mais réaliste. En introduisant un personnage humain dans sa fable, La Fontaine est tout naturellement conduit à tenir compte du contexte de son époque. Ainsi il arrive à donner à la fable une double dimension. Il garde, certes, la réflexion philosophique sur la mort, héritage des Anciens, mais il y ajoute une vision des réalités sociales, souvent cruelles aux plus faibles. Cette volonté explique la stratégie prudente mise en oeuvre dans le court passage qui introduit cette fable, feinte sans doute destinée à échapper à toute censure.
En même temps, par sa volonté d’unir désir de « plaire » et désir d’ »instruire, La Fontaine rejoint la définition de l’apologue, posée dans sa préface : il est « composé de deux parties dont on peut appeler l’une le corps, l’autre l’âme, le corps est la fable et l’âme, la moralité ». Mais, quand le corps est, lui-même, composé de plusieurs « membres », cela entraîne forcément que « la moralité » puisse se lire de plusieurs façons.
« La Cigale et la Fourmi »
« La Cigale et la Fourmi » est la 1ère fable du 1er recueil des Fables de La Fontaine, paru en 1668, et dédié à « Monseigneur le Dauphin » [Cf. Mes pages]. C’est une forme d’apologue, qui répond à la volonté classique d’associer « plaire et instruire » et donne, en quelque sorte, le ton du recueil.
À l’époque où il publie son premier recueil de fables, La Fontaine est déjà connu pour ses contes libertins. Il a perdu son protecteur Fouquet, arrêté et emprisonné sur ordre du roi en 1661, et il est devenu « gentilhomme servant » de la duchesse d’Orléans. Les Fables vont lui offrir l’occasion de tenter de rentrer dans les bonnes grâces du roi. En digne partisan des Anciens dans la « Querelle des Anciens et des Modernes », La Fontaine puise son inspiration chez les auteurs antiques, ici Ésope.
En quoi cette fable est-elle représentative de l’art de l’apologue ?
L’ART DU RÉCIT
Ce texte a tout d’un récit traditionnel : le choix de la 3ème personne, du passé simple, une rapide actualisation spatio-temporelle pour poser la situation initiale, la présence de deux personnages avec leurs discours rapportés. On y retrouve aussi la structure habituelle, puisque, après la situation initiale vient l’événement perturbateur, la « famine », puis la péripétie, qui se termine par l’élément de résolution, le rejet brutal de la demande. Seule manque la situation finale, mais le lecteur la devine aisément : la cigale mourra de faim. La Fontaine accentue la vivacité de ce récit par le recours à l’heptasyllabe, vers court et inhabituel dans la poésie.
De même le recours à des animaux est traditionnel dans la fable. Pour les mettre en scène, La Fontaine joue entre réalisme et refus du réalisme. Il garde l’image traditionnelle des insectes choisis, d’une part le chant de la cigale, mis en valeur par l’enjambement du vers 2 (trisyllabe), « tout l’été », d’autre part l’activité incessante des fourmis qui accumulent des réserves. Notons cependant qu’il supprime le pluriel d’Ésope, pour accentuer la valeur symbolique de l’opposition entre les deux comportements. Mais il ne se soucie aucunement du réalisme biologique : la cigale ne mange ni « mouche » ni « vermisseau », elle se nourrit de la sève des végétaux, et, surtout elle ne survit pas aux premiers froids, donc impossible qu’elle connaisse « la bise » de l’hiver. Ce qui intéresse La Fontaine est, en réalité, l’anthropomorphisme : donner à ces animaux une dimension humaine, ce qui est propre au registre merveilleux, comme d’ailleurs l’absence de lieu ou de temps précis.
Après une rapide mise en place du décor (« Quand la bise fut venue »), La Fontaine s’attache à mettre en scène ses deux personnages, comme dans une courte scène de théâtre, par un dialogue qui prend des formes variées.
Le dialogue débute avec le discours indirect, qui met en valeur le verbe introducteur, c’est-à-dire la supplication de la cigale, fort polie : « La priant de lui prêter ». La rime suivie avec « pour subsister » accentue le danger qu’elle court, c’est bien une question de vie ou de mort.
Puis le discours direct de la cigale permet de dramatiser sa situation, en soulignant plaisamment son honnêteté par le mélange entre la dimension animale (« foi d’animal ») et les réalités humaines : « Je vous paierai [...] Intérêt et principal ». Le dialogue s’accélère ensuite, avec la reprise verbale (« je chantais » / « Vous chantiez ») et l’antithèse ironique, mise en valeur au centre des rimes embrassées : « ne vous déplaise »/« j’en suis fort aise ». Il se clôt sur la brutalité du rejet final avec l’interjection, « Eh bien ! », et l’impératif.
La Fontaine réalise donc un récit vivant, mais qui, contrairement à la tradition, et à son modèle, Ésope, ne se termine pas par une morale explicite : au lecteur de la dégager.
LE SENS DE LA FABLE
Par le parallèle établi entre l’animal et l’homme, la fable a aussi une visée didactique, morale. Pour dégager le sens de celle-ci, il faut donc chercher ce que représentent les deux personnages.
Si l’on en juge par Ésope, le sens moral serait : « Cette fable montre qu’en toute affaire il faut se garder de la négligence, si l’on veut éviter le chagrin et le danger. » Ainsi, la Cigale illustre un défaut, son imprévoyance, sa légèreté, sanctionnées par la « famine » que souligne l’insistance sur la négation au vers 5: « Pas un seul petit morceau ». Elle vit au jour le jour, en comptant sur l’aide des autres pour « subsister », d’où sa qualification par le narrateur : « cette emprunteuse ». Par opposition la fourmi a des qualités, son travail et sa prévoyance, connues du voisinage puisque c’est chez elle que se rend immédiatement la cigale. De plus, c’est la fourmi qui a le dernier mot, qui triomphe donc dans la fable.
Mais cela signifie-t-il que La Fontaine lui donne raison ? Le commentaire des vers 15 et 16, par la rime embrassée, unit le jugement du narrateur au dialogue final. Or, ce jugement est sévère : à « emprunteuse » répond « pas prêteuse ; / C’est là son moindre défaut », ajout qui la critique en sous-entendant qu’elle en a bien d’autres défauts.On en arrive donc à inverser la morale initiale : c’est l’égoïsme de la fourmi qui est blâmé, défaut renforcé par la cruauté de sa question hypocrite, faite pour humilier la cigale, car elle sait très bien ce que fait la cigale pendant l’été, et le mépris ironique de son rejet.
À ce sens moral nous pouvons ajouter un sens social, car la fable accorde une place aux réalités du monde paysan, d’abord l’évocation de la « famine », récurrente au XVII° siècle. Puis la demande de « quelque grain » associée à la promesse de payer « Avant l’août », époque de la moisson, rappelle les difficultés du monde paysan de survivre d’une récolte à l’autre. On emprunte donc en gageant le prêt sur la prochaine récolte. Enfin on y retrouve la formule de cette époque , « Intérêt et principal ». Tout cela nous invite à voir en la cigale une représentante du tiers-état paysan, pauvre et miséreux, face à la fourmi qui, elle, représente la bourgeoisie financière, qui peut se livrer à l’usure, sans pitié.
Enfin nous pouvons donner à cette fable un sens autobiographique, dans la mesure où la fable s’ouvre sur le verbe « chanter », repris à deux reprises à la fin. Or, traditionnellement, ce verbe est celui qu’emploient les poètes pour parler de leur art, celui d’ailleurs par lequel La Fontaine ouvre sa dédicace à Monseigneur le Dauphin : « Je chante les héros… », en parodiant l’épopée de l’auteur latin, Virgile. La réponse finale de la cigale insiste sur cette fonction d’artiste, obstiné dans sa création, avec « Nuit et jour » placé en tête de vers, et l’offrant généreusement à son public, « à tout venant ». Pourtant, l’artiste n’est pas considéré comme productif dans la société. Il a besoin, à l’époque de La Fontaine, d’un mécène pour « subsister », mais les mécènes ne sont pas si nombreux…
CONCLUSION
La Fontaine nous offre, donc, une fable bien plus élaborée que celle d’Ésope, à la fois par la vivacité du récit, soutenu par la variété des vers et des rimes, et par la morale, ambiguë par rapport à celle, traditionnelle, du fabuliste grec. Nous mesurons ainsi la stratégie indirecte du poète, qui entrecroise le texte de son modèle au contexte du XVII° siècle à la situation même de l’auteur.
Cela nous conduit à rappeler le rôle du lecteur. Dans sa préface, La Fontaine demande à son lecteur d’effectuer « raisonnements et conséquences » à partir de l’apologue. Il insiste aussi sur la valeur instructive des fables, notamment pour les enfants. Mais sont-elles vraiment compréhensibles par eux ? En rappelant le blâme adressé par Rousseau dans Émile, notamment sur leur immoralité, on comprend bien qu’au-delà de l’enfant, c’est au lecteur adulte que s’adresse La Fontaine.
« À la belle étoile »
Ce poème de Jacques Prévert, nouveau regard d’un poète sur Paris, a été, à l’origine, composé en 1934 pour un film de Jean Renoir, Le Crime de monsieur Lang, et mis en musique par Vladimir Kosma. Prévert l’a repris et remanié pour le recueil Histoires, recréant ainsi l’atmosphère liée à la période précédent et suivant immédiatement la 2nde guerre mondiale.
Prévert (1900-1977), par ses origines, connaît bien le Paris populaire. Marqué par le surréalisme, dont il a fréquenté les représentants dans les années vingt, il quitte le mouvement en 1928, car il ne supporte plus l’autorité de Breton. Mais il en gardera toujours le goût des images originales, la liberté de ton et le sens de la révolte. Il s’affirme alors comme un auteur engagé et militant, fondant, par exemple, en 1932, le « Groupe Octobre », affilié à la Fédération du Théâtre ouvrier de France (P.C.F.), et écrivant de nombreux sketches pour cette troupe de théâtre. Il est aussi le scénariste de plusieurs films célèbres, tel Les enfants du paradis de Marcel Carné. Il se rapproche ainsi d’une poésie plus populaire par son choix d’une langue simple et familière, des rythmes proches de la chanson et des thèmes empruntés à la vie quotidienne. [Pour en savoir plus : http://www.jesuismort.com/biographie_celebrite_chercher/biographie-jacques_prevert-980.php]
Le titre de ce recueil en désigne le contenu. Il s’agit bien de poèmes, en vers ou en prose, dont chacun comporte une ou plusieurs « histoires », de la simple anecdote, jusqu’au conte, en passant par des « fables », représentatives de la vie quotidienne. Ainsi dans cet extrait d’ »À la belle étoile » (
Jacques PRÉVERT), nous observerons comment le poète met en évidence les injustices du Paris populaire.
LES LIEUX
C’est bien le Paris populaire que nous présente ici Prévert. L’anaphore de « Boulevard » dans les quatre premières strophes situe, en effet, ce tableau dans les quartiers populaires, en compagnie de ceux qui y vivent. Prévert en recrée l’atmosphère, un peu comme un décor de théâtre qui reprendrait quelques accessoires symboliques de cette ville : le « métro aérien », « les bancs » publics, « le « réverbère », le restaurant au nom bien français « Chez Dupont » avec son enseigne qui joue sur les sonorités…
Mais déjà Prévert montre sa fantaisie, en jouant sur chacun des noms des boulevards, en donnant à chaque lieu une valeur symbolique, par des associations d’idées à la façon des surréalistes.
Ainsi le nom du » Boulevard de la Chapelle » confère au lieu une connotation religieuse, que complète « le métro aérien », qui semble occuper le ciel. Semble mise en place une nouvelle religion des temps modernes, qui se rapproche à sa façon du ciel. Plaisamment, par antithèse, il y place « les filles très belles », l’adjectif formant une rime intérieure avec « Chapelle », ici, en fait, des prostituées, qui ne sont pas vraiment des images de piété.
Pour le « Boulevard Richard Lenoir », il procède aussi par antithèse, car le personnage est nommé « Richard Leblanc », et nous comprenons, par son discours, qu’il est un voyou, alors que Richard Lenoir était un industriel très riche, un des principaux négociants en coton du XIX° siècle.
De même, le « Boulevard des Italiens » s’oppose à « un Espagnol », cependant le fait qu’il s’agisse de deux peuples d’immigrants en France à cette époque les rapproche.
Enfin, pour le « Boulevard de Vaugirard », l’association sonore avec « veinard » prépare le contraste avec le « nouveau-né » qui est mort.
Prévert s’amuse donc à jouer avec les sons, à surprendre le lecteur par un décor planté rapidement et des associations d’idées antithétiques, autant de caractéristiques héritées du surréalisme.
LES PERSONNAGES
C’est sur les « filles » que Prévert ouvre le poème, image traditionnelle des « p’tites femmes » de Paris, car ici on comprend vite qu’il s’agit de prostituées, vu l’association avec « les vauriens » – et si elles ne le sont pas encore, elles peuvent le devenir très vite dans cet environnement . Ainsi se crée un contraste entre le vers 1, où elles sont « très belles », encore jeunes, séduisantes, et le vers 4 avec « de vieilles poupées ». Cette expression populaire donne une vision pitoyable de ce qu’elles deviennent dans leur vieillesse, obligées de se maquiller à l’excès pour continuer à faire leur métier le plus longtemps possible. Prévert trace donc leur avenir, une condamnation à vie. Le recours à l’argot (« faire le tapin ») restitue bien l’ambiance de ce quartier populaire.
Vient ensuite le petit peuple. Avec « beaucoup de vauriens » on pense tout de suite à des proxénètes et, dans la deuxième strophe, le langage argotique du discours direct montre bien qu’il s’agit d’un jeune voyou.
Mais le poème insiste surtout sur la misère, celle des « clochards affamés », sans abri épuisés qui n’ont même plus la force de réagir. L’autre affamé de la 3ème strophe est l’immigré espagnol qui « fouillait les poubelles ». De nombreux Espagnols ont, en effet, émigré en France à cause de l’arrivée de Franco au pouvoir après la guerre civile de 1936. Nous noterons le douloureux jeu de mots entre l’enseigne, « chez Dupont tout est bon », et les « poubelles » : « tout est bon » au sens propre, quand on est affamé…
Enfin le « nouveau-né » est mis en valeur à la fin de cette galerie de portraits. Là encore Prévert crée un effet de surprise, d’abord par l’endroit où il se trouve et son lit, « une boîte à chaussures ». Il renforce cela par le contraste entre l’alexandrin (vers 17), avec la récurrence de « dormait », et l’hexasyllabe, vers court, à la rime suivie, dont la périphrase annonce la mort du « nouveau-né » : « de son dernier sommeil ». Le lecteur s’interroge alors : pourquoi cette mort ? Il a pu mourir de misère, dans une famille qui n’avait même pas de quoi payer un enterrement ; il a pu aussi être abandonné par une fille-mère, incapable d’assumer la honte sociale, encore forte à cette époque, ni la charge d’élever seule d’un bébé.
Prévert nous propose donc une série de portraits qui évoquent la misère du Paris des années 30, comme de l’immédiat après-guerre.
LES SENTIMENTS EXPRIMÉS
Le poème est pris en charge par un narrateur, présent par le pronom « je » (« j’ai rencontré », « j’ai aperçu »), lui aussi un errant dans ce Paris populaire, dont on pourrait penser qu’il s’agit du poète…Mais la dernière strophe lui donne une autre image : lui aussi est un exclu, un marginal sans lieu pour dormir, un miséreux, ce que suggérait déjà le titre « A la belle étoile », renvoyant à l’ expression « dormir à la belle étoile ». Là encore Prévert exerce sa fantaisie en jouant sur deux expressions en parallèle, l’une existante, vivre « au jour le jour », l’autre inventée, « à la nuit la nuit ».
Cette énonciation offre l’intérêt de permettre l’expression de sentiments. D’abord ressort l’idée d’une injustice, exercée par les forts contre les faibles. La première dénonciation est celle de la police, ici en argot, « les flics ». Le recours au discours rapporté direct, tout en donnant vie au texte, souligne le plaisir que semblent éprouver des policiers abusant de leur pouvoir, presque une cruauté gratuite : « Histoire de s’réchauffer ils m’ont assassiné ». Cette mort est figurée par la rime suivie entre « Leblanc » et « sang ». Les policiers l’ont abandonné là, presque mort, et la récurrence de l’impératif « tire-toi d’ici » exprime l’idée d’un risque pour le narrateur s’il reste près de lui. On sent la complicité du personnage avec le narrateur, qu’il tutoie.
Prévert dénonce aussi le racisme, avec le même choix du discours rapporté direct. La violence de ce discours ressort dans l’insulte « youpin » (vers 13), mise en valeur par la rime intérieure avec « pain », et celle du vers suivant, « bien ». Mais peut-on qualifier de « monsieur très bien » celui qui insulte ainsi ? Cette ironie par antiphrase permet, en fait, à Prévert d’attaquer la bourgeoisie qui n’a pas combattu la montée du nazisme, car elle était alors très imprégnée d’antisémitisme. De plus, puisque Prévert garde ce poème en 1946, il sous-entend que l’antisémitisme n’a pas disparu, même après la découverte des horreurs du nazisme. Le titre « A la belle étoile » peut ainsi se charger d’une autre signification : l’étoile jaune porté par les Juifs sous l’Occupation.
La sympathie du narrateur va aux victimes, pas à ceux en charge du pouvoir. Masqué derrière lui, Prévert exprime sa compassion pour tous ceux qui souffrent, nettement mise en évidence dans l’ensemble du texte. C’est particulièrement net à propos du nouveau-né, avec la récurrence de « dormait », qui exprime comme un attendrissement devant ce bébé, avec l’interjection « ah ! » et l’exclamation « quelle merveille ! », alors qu’en fait il est mort. De plus, en le qualifiant de « veinard » en conclusion, Prévert nous montre que la mort vaudrait finalement mieux qu’une vie de misère.
Le dernière strophe traduit ainsi une absence d’espoir, marquée par le contraste entre l’expression « A la belle étoile », et la question oratoire « Où est-elle l’étoile », suivie d’une réponse immédiate : « Moi je n’l’ai jamais vue ». L’explication qui suit exprime une forme de résignation : « Elle doit être trop belle pour le premier venu ». L’étoile rappelle donc ici celle de la Bible, porteuse d’un message d’espoir. Mais elle serait réservée à ceux qui en seraient plus « dignes », ceux qui sont nés riches, puissants tels les rois mages, inaccessible aux gens ordinaires du peuple, qui, eux, sont « nés sous une mauvaise étoile ». Cette interprétation se complète par le jeu de mots de l’avant-dernier vers, « c’est une drôle d’étoile », avec son double sens. D’une part l’adjectif « drôle » signifie « bizarre » : étrange que cette étoile n’apparaisse jamais à ceux qui, pourtant, dorment « à la belle étoile » ! D’autre part, cet adjectif conserve son sens premier, c’est-à-dire « amusante », et forme ainsi une antithèse avec celui qui suit, « triste », répété dans le dernier vers, avec ses sonorités aiguës en [ i ] qui semblent imiter un cri de souffrance.
Ce poème, avec le refrain de sa dernière strophe, devient comme une chanson populaire, dédiée à tous ceux qui souffrent.
CONCLUSION
Le poète n’est plus ici l’artiste qui observe « les tableaux parisiens », comme le faisait Baudelaire, il s’y est inséré sous forme de narrateur pour en raconter les « histoires ». Chaque personnage représente un morceau de vie, une image des souffrances d’un Paris populaire, restitué dans toute sa vérité, avec son langage, sa vie, ses injustices, un Paris de la misère et de l’exclusion. Prévert se caractérise par sa poésie engagée en faveur des plus faibles.
C’est aussi une poésie simple par sa structure et ses choix lexicaux, qui adapte avec souplesse la musicalité des vers plus traditionnels, tel l’alexandrin : Prévert atteint ainsi le cœur des lecteurs. Mais en même temps, à la suite des surréalistes, il joue sur les mots, en associe les sonorités, crée des effets de surprise, une poésie qui s’est libérée des règles.
Une mise en musique réussie : http://www.dailymotion.com/video/x4krhx_marianne-oswald-a-la-belle-etoile_music#.UXEd-8q5qHM
« Contrastes », v. 15-44
Les poètes, au début du XX° siècle, associent volontiers, comme le fait Blaise Cendrars dans cet extrait de « Contrastes », le modernisme de Paris à leurs recherches d’une poésie novatrice.
Blaise Cendrars (1887-1961), auteur d’origine suisse (son nom est Louis-Ferdinand Sauser) et naturalisé français, se caractérise essentiellement par une véritable boulimie de voyages : dès 15 ans, une fugue l’emmène, par le transsibérien, au fond de l’Asie, et toute son oeuvre sera alors imprégnée de ses multiples voyages en quête de toutes les diversités du monde : Pâques à New York (1912), La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France (1913), Le Panama (1917) pour la poésie, L’Or (1925), Le Rhum (1930), Bourlinguer (1948) pour les romans. Pendant la guerre de 14, il s’engage dans la Légion étrangère, et perd un bras. Mais tous ces voyages le ramènent toujours à un point fixe : Paris, où, à côté de petits boulots, parfois originaux comme la culture du cresson, ou l’apiculture, où il fréquente tous ceux qui, au début du siècle, sont à la recherche d’un Art nouveau, dans la peinture avec Braque, Picasso, les Delaunay (fauvisme, cubisme, simultanéisme), et dans la poésie, tels Apollinaire, Max Jacob… Il y découvre aussi l’Art nègre publiant son Anthologie nègre en 1921.[ Pour en savoir plus : http://www.poesie.net/cendrs2.htm ]
Le titre du recueil, Dix-neuf poèmes élastiques, est déjà un signe de rupture avec tout ce qui, pendant des siècles, a enfermé le poème dans une forme, en affirmant au contraire un choix d’« élasticité » du cadre et de la versification.
Le titre du poème, quant à lui, (Cendrars_Contrastes) propose une double hypothèse de lecture : des « contrastes » dans les thèmes retenus, c’est-à-dire diverses images de Paris qui s’opposent, et une poésie elle-même faite de « contrastes » avec des formes, des couleurs, des bruits qui s’opposent dans la plus grande liberté du vers. Nous nous interrogerons donc sur la façon dont cet extrait met en valeur les contrastes de Paris.
Pour garder la force de ces « contrastes », nous n’analyserons pas le poème de façon thématique, ce qui les effacerait en les regroupant, mais procéderons de façon linéaire, strophe par strophe pour mieux observer comment ils surgissent.
1ère STROPHE
Elle introduit un premier contraste dans les thèmes d’inspiration, de l’intérieur de la chambre, où se tient le poète, observant, à travers « les fenêtres grand’ouvertes sur les boulevards », tout ce qui s’y passe, le déroulement de la vie moderne, elle aussi faite de « contrastes ». Les allusions au luxe, « vitrines », « limousines », s’opposent, en effet, au monde ouvrier, signifié par le peintre « pocheur », ou les « linotypes », machines à imprimer qui permettent à la ligne imprimée de se fondre en un seul bloc.
En même temps, la métaphore du vers 1, qui transforment les « vitrines » des boutiques en celles de la poésie, crée d’autres contrastes nés des choix poétiques. Ainsi peut se réaliser un étalage de bruits opposés, « violons » et « xylophones », et de couleurs qui explosent en « taches » ; contraste aussides images qui associent la banalité terrestre (« se lave dans l’essuie-main », « les chapeaux des femmes ») à l’immensité céleste : « l’essuie-main du ciel », « des comètes dans l’incendie du soir », qui se charge, lui aussi, de multiples couleurs.
Enfin, la longueur du vers libre marque, elle aussi, le contraste. Le verbe « brillent », isolé, est mis en valeur : la poésie transfigure le réel, comme si chaque élément exposé dans les « vitrines » devenait un bijou.
2ème STROPHE
Dès son ouverture, la strophe fait naître un monde déstructuré, fondé sur le contraste entre le mot lancé en tête, « L’unité », immédiatement démenti par la triple anaphore qui suit : « plus d’unité », « plus de temps » (les « horloges » en indiquant minuit, semblent totalement déréglées), « plus d’argent ». Le poète donne ainsi l’impression d’un monde qui a perdu tout ce qui l’organisait, lui donnait un sens.
Ce temps organisé est remplacé par l’immédiateté de l’actualité, qui pénètre la poésie, ici « la Chambre » des députés, avec ses débats de nuit, traduits par le pronom « on ». Le vers 14, qui évoque la « matière première » fait sans doute allusion aux crises coloniales, liées aux richesses minières, par exemple en 1911 les accords d’Agadir qui concèdent aux Allemands une partie du Congo en échange de la liberté pour la France d’exploiter les richesses du Maroc.
3ème STROPHE
Dans cette strophe, apparaît le contraste des lieux. Après l’allusion à « la Chambre », le poème nous transporte « chez le bistro », lieu de la vie la plus ordinaire. De même, la banalité des « rues », suggérées dans les strophes précédentes et par la mention de l’ « automobile », s’oppose aux monuments célèbres, eux aussi en opposition, des anciens, tel « l’Arc de Triomphe, aux modernes, dont le plus récent, la « Tour Eiffel ».
À cela s’ajoute le contraste des personnages parmi lesquels nous trouvons d’abord « les ouvriers en blouse bleue », c’est-à-dire tous les humbles, les anonymes, auxquels s’oppose « un bandit » célèbre. Cendrars fait ici allusion à la bande à Bonnot, célèbres voleurs qui opéraient en voiture, arrêtés en 1912, et jugés en 1913.Puis « un enfant joue avec l’Arc de Triomphe », allusion à plusieurs aviateurs qui se sont amusés à passer sous ce monument pour atterrir ensuite sur les Champs-Élysées. En août 1912 un arrêté du préfet de police de Paris interdit les atterrissages dans la capitale. En dernier vient « Monsieur Cochon ». Il s’agit de Georges Cochon, militant anarchiste (il passe 3 ans aux Bats’ d’Af’ pour objection de conscience), ouvrier tapissier, dont l’expropriation, en 1911, qu’il refusa (il tient un siège de 5 jours contre la police, en clouant des poutres en travers de la porte, en en allumant une lampe à sa fenêtre pour chaque jour de siège) conduisit à la création de la Fédération nationale et internationale des locataires. Donc « ses protégés » sont les sans-abris, que Cendrars propose plaisamment de loger « à la Tour Eiffel ».
Cendrars joue enfin sur le contraste dans les temps, passant du temps quotidien, habituel, « au café », « tous les samedis », où se déroule la « poule au gibier », jeu de loto, avec mise dont le gagnant remporte une pièce de gibier, au moment d’exception : « de temps en temps ». Il fait, de ce fait, alterner l’ancien, la tradition, et le nouveau.
Ainsi la poésie naît de ces contrastes, que l’on retrouve aussi dans les couleurs (« blouse bleue » et « vin rouge »), et mis en relief dans les vers courts d’ « On joue » et « On parie ». Ressort alors la notion de hasard : c’est lui aussi qui assemble les images, prises au hasard dans Paris.
4ème STROPHE
Cette strophe s’ouvre sur la brutalité de l’adverbe de temps, « Aujourd’hui », affichant le désir d’une poésie de l’immédiat, de l’actuel, qui marque un nouveau contraste entre la tradition et le modernisme.
Du côté de la tradition, se range la religion propre à ce vieux pays chrétien, identifiée par les mentions du « Saint-Esprit » et de « Saint-Séverin », une des plus vieilles églises du Quartier Latin, mais aussi « la Sorbonne », l’Université parisienne la plus ancienne. Elle est montrée dans toute la force de sa tradition immuable à travers l’image, « Les pierres ponces […] ne sont jamais fleuries », niant toute possibilité de printemps, donc de renouveau. La permanence de la ville se traduit par l’évocation de « la Seine », fleuve symbole même de Paris.
Le modernisme vient contredire cette première vision. Le « Changement de propriétaire » signalé, formule accompagnée des « plus petits boutiquiers » montre que c’est le commerce, donc l’argent, le matérialisme, qui est devenu la nouvelle valeur du monde moderne, en remplacement de la religion. De même, quand « l’enseigne de la Samaritaine laboure [...] la Seine », le grand magasin, symbole du commerce moderne, dont l’image nous montre les enseignes électriques se reflétant dans la Seine, suggère aussi qu’un nouveau Paris pourra naître de ce sillon.
Plus violentes sont les images suivantes, par exemple l’allusion aux manifestations par « les bandes de calicot / De coquelicot ». Le rejet et le jeu sonore mettent en valeur cette fleur, rouge, donc symbole de la révolte. Pendant ces manifestations, alors nombreuses, pour protester contre la loi qui voulait faire passer le service militaire à 3 ans, des banderoles étaient brandies. Après les couleurs lumineuses, les bruits. Ce sont les transports modernes, tels les « tramways » dont la 1ère ligne avait été inaugurée en 1910, que nous entendons par l’écho vocaliques du [ è ], au lieu des cloches sonnant à l’église : « les sonnettes acharnées des tramways ».
5ème STROPHE
Avec l’arrivée de la nuit naissent les derniers contrastes, d’abord entre les lieux parisiens, énumérés : « Montrouge, gare de l’Est, Métro nord-sud, bateaux-mouches », et l’immensité du monde. Ainsi l’on découvre le microcosme parisien, illustré notamment par la « rue de Buci », rue populaire de Paris, d’où partit le cri « Vive la République » lors des journées révolutionnaires de 1848, avec barricades, d’où le lien établi avec le fait de crier les titres des journaux dans les rues. Face à lui, le macrocosme, aussi vaste que « l’aérodrome du ciel » : outre le rappel du développement de l’aviation, Paris, alors carrefour des arts, semble donc concentrer l’immensité en lui, le monde entier en elle. Et cela nous renvoie aussi au titre « Du monde entier au cœur du monde » donné à un recueil qui regroupe l’ensemble de l’œuvre poétique de Cendrars, à l’image de la vie de cet écrivain.
Le second contraste, dans cette strophe, vient des jeux de lumière et d’ombre. D’une part, on note l’opposition entre l’extrême luminosité et le flou, toujours mise en relation avec les temps modernes face à l’ancien. Ainsi le vers « Il pleut des globes électriques », où allitération de la consonne liquide reproduit la coulée de lumière, contraste avec le terme « halo », effet de la lumière qui engendre le flou, et empêche la « profondeur », la vision pénétrante, qui figure pourtant au vers suivant. D’autre part, ce même terme de « halo », atténuant la lumière, contredit l’éclat porté par l’adjectif « embrasé », mis en relief par l’apposition, et la comparaison du ciel au couchant à « un tableau de Cimabue », peintre et mosaïste médiéval célèbre pour la luminosité de ses couleurs.
Cette luminosité est, par la suite, elle-même contredite par l’omniprésence du noir à la fin du poème. Cendrars y place, en effet, au 1er plan (« par devant ») des hommes devenus silhouettes. Les 3 adjectifs, « Longs / Noirs / Tristes », occupent chacun un vers unique, ce qui les souligne, tandis que le jeu de mots final, en associant les « cigarettes » et la fumée des usines, nous ramène au monde du travail et à ses souffrances.
CONCLUSION
Cette analyse nous permet de vérifier les hypothèses initiales. Ce poème nous présente bien des images de Paris qui s’opposent et se heurtent , donnant ainsi l’impression d’une ville en pleine effervescence, en plein renouveau.
Nous avons pu aussi découvrir une poésie faite elle aussi de « contrastes ». Le seul regard du poète déclenche une description qui, en fait, se résume en une liste faite d’énumérations, comme le fait Apollinaire dans « Zone » paru dans Alcools . Son regard erre au hasard, et, par la juxtaposition, il crée une sorte de choc, des effets de surprise. Ce sont là les procédés de base du Simultanéisme, courant parallèle aux recherches des cubistes. Or, Cendrars s’associa précisément avec Sonia Delaunay, représentante du simultanéisme, pour son long poème La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France. Il s’agit de désintégrer « l’unité » apparente du réel, des lieux, des objets, des êtres, pour créer un réel discontinu, où les éléments se juxtaposent comme au hasard, avec une liberté totale dans la longueur du vers. La seule unité devient donc l’espace du poème, « vitrine » donnée par le poète qui voit, écoute, lit, association des perceptions dans une sorte de kaléidoscope mental, qui rappelle les synesthésies baudelairiennes.
« L’Orgie parisienne ou Paris se repeuple » : v. 45-56 et 61-76
INTRODUCTION
Nous analyserons, dans ce corpus qui croise les regards des poètes sur la ville, notamment sur Paris, un extrait d’un long poème de Rimbaud (Arthur RIMBAUD), publié dans le recueil Poésies, daté du 28 mai 1871 sur le manuscrit, soit à la fin de la « semaine sanglante » de la Commune.
Rimbaud (1854-1891), tout jeune encore à cette époque, vit alors ses premières révoltes d’adolescent, ses premières fugues, et compose ses premiers poèmes, regroupés dans ce que l’on nomme « Le cahier de Douai ». Ce n’est que plus tard qu’il débutera sa liaison avec Verlaine, et entreprendra, pour « se faire Voyant », le « dérèglement systématique de tous les sens », en recourant aux « paradis artificiels ». Cette errance intérieure s’associe à l’errance géographique, avec des voyages accomplis, d’abord avec Verlaine, jusqu’à la crise qui les sépare, puis avec Germain Nouveau, enfin seul, jusqu’à l’Ethiopie où il passe la fin de sa vie. Une blessure, suivie de gangrène, ramène à Marseille celui qui reste, même s’il n’écrit plus, un des « poètes maudits » du XIX° siècle. [Pour en savoir plus : http://www.etudes-litteraires.com/rimbaud.php]
Le titre du poème est double. Sa première partie, « L’Orgie parisienne » nous renvoie à l’origine du terme, les débauches auxquelles se livraient les participants aux fêtes de Dionysos dans la Grèce antique, c’est-à-dire suggère tous les excès, nourriture, alcool, et plaisirs sexuels. On retrouve là une image romantique traditionnelle de la grand ville, corrompue et corruptrice.
La seconde partie, « Paris se repeuple », peut se comprendre par les circonstances historiques. La défaite de Mac Mahon contre les Prussiens à Sedan (2 septembre 1870) avait fait chuter le Second Empire (le 4 septembre) et libéré la route vers Paris, dont de nombreux habitants s’étaient enfuis avant que la ville ne subisse des bombardements et un long siège. L’armistice est signé les 28-29 janvier 1871, et, le 1er mars les troupes s’installent dans Paris et défilent sur les Champs Elysées. Cependant, malgré cette occupation, les Parisiens rentrent, les commerces rouvrent, les affaires reprennent : « Paris se repeuple » donc. Mais le 18mars éclate l’insurrection de la Commune, qui culmine avec les 30 000 morts de la « semaine sanglante », entre le 21 et le 28 mai 1871.
Comment Rimbaud représente-t-il l’évolution de Paris ? Pour répondre à cette problématique, nous suivrons les trois temps principaux du poème.
LE PARIS DU PASSÉ
Les temps du passé remplissent, dans ce passage, leur rôle habituel : le passé simple (vers 2) donne au récit une valeur historique, tandis que le passé composé, aux vers 1 ou 16 par exemple, marque le lien de conséquence entre le passé et le présent.
À travers eux, Rimbaud nous montre Paris comme une ville de luttes et de révoltes, et ce dès le 1er vers du passage où il l’interpelle : « Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères, / Paris ! » Nous y voyons une allusions aux révolutions (1789, 1830, 1848), et nous pouvons penser aussi à une chanson révolutionnaire, avec sa danse, comme « La Carmagnole ». Paris se trouve personnifié, puisque le poète lui parle, en femme avec ses « deux seins » (vers 6). Elle devient une allégorie, celle de la liberté, qui nous rappelle le tableau de Delacroix, La Liberté guidant le peuple. Or c’est cette liberté qui a été assassinée avec violence, frappée de « tant de coups de couteau » (vers 2), à la fois par le Second Empire, puis par l’occupation prussienne. En même temps, par ces luttes, la ville a pris une dimension sacrée : « Cité que le Passé sombre pourrait bénir » (vers 8), et surtout « L’orage t’a sacrée suprême poésie » (vers 17). Tout naturellement, puisque, pour Rimbaud, la poésie est, elle aussi, révolte et liberté, la ville s’assimile à elle.
Mais cette image d’une énergie en mouvement est contredite par son résultat, une « cité quasi morte », vision mise en relief par la coupe du vers 3 après « tu gis », et complétée par les termes qui figurent l’agonie : « douloureuse », « ta pâleur » (v. 5, v. 7). Cependant, un souffle de vie subsiste, aux vers 3 et 4, un reste de lumière dans les « prunelles claires », et un reste d’âme : « retenant un peu de la bonté du fauve renouveau ».
Rimbaud sous-entend donc, par cette dernière formule, que la violence, portée Paris, est toujours prête à resurgir.
LA RÉSURRECTION DE LA VILLE
Le champ lexical de la renaissance est très présent dans le poème, depuis le titre : « Paris se repeuple ». Ce préfixe « re- » se retrouve dans le néologisme « remagnétisé » (vers 9), qui marque bien la reprise d’une énergie, puis « rebois » (vers 10), là aussi comme si le seul fait d’être en « vie » était un philtre magique doté du pouvoir de ranimer, enfin « revoir », au vers 13. Le verbe « sourdre », mis en valeur au vers 11 par le contre-rejet qui l’introduit va dans le même sens : comme une source qui jaillit, un sang nouveau vient nourrir les « veines » de la ville.
Mais de quelle résurrection s’agit-il ?
Loin d’ouvrir la vision d’un printemps lumineux, cette renaissance ramène vers l’horreur, vers la souffrance. On note, en effet, le lexique péjoratif hyperbolique : « pour les énormes peines » (vers 9), « tu rebois la vie effroyable », « affreux de te revoir couverte, / Ainsi », avec la force de cet adverbe en rejet au vers 14, peut-être une allusion aux troupes prussiennes présentes dans Paris. Ajoutons à cela la formule répugnante, « Ulcère plus puant » (vers 15) avec ses sonorités violentes. Si la ville semble retrouver ses forces, c’est donc pour se préparer à de nouvelles souffrances, à de nouvelles douleurs. Même si Paris, en tant que femme, est amour (« ton clair amour », vers 12), plane sur elle une menace de mort, elle sent « rôder les doigts glaçants » (vers 12), comme un spectre qui s’approcherait.
C’est que, déjà, la ville prépare une nouvelle révolte, une nouvelle colère, comme une germination prête à éclore : « l’immense remuement des forces te secoue » (vers 18). L’expression « ton œuvre bout » (vers 19) donne l’impression d’un immense chaudron dans lequel se prépare une explosion nouvelle, suggérée par le rythme ternaire du vers : « la mort gronde ». Cette menace se précise au vers 20, « Amasse les strideurs au cœur des clairons sourds », avec le jeu des sonorités, à la fois violentes, puis devenant plus graves telles celles de cet instrument guerrier. Le choix des « clairons », outre le rappel des circonstances historiques, renvoie aussi à une vision biblique, reprise dans un poème célèbre des Châtiments (VII, I), ouverture de la dernière section du livre où Hugo annonce la revanche contre Napoléon-le-Petit : « Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée », allusion aux clairons du Peuple juif qui firent s’écrouler les murailles de Jéricho. Les « strideurs » des « clairons » menaceraient donc les « murailles rougies » de cette ville ensanglantée, menaceraient ceux qui ont tant fusillé d’insurgés communards, pendant la « semaine sanglante », devant le « mur des Fédérés ».
Ainsi, le « repeuple[ment] » de Paris fait planer une menace.
LE FUTUR DE PARIS
Cependant les vers 6-7 , « La tête et les deux seins jetés vers l’Avenir / Ouvrant sur ta pâleur ses milliards de portes », donnent l’impression d’un immense futur, où tout serait possible, impression renforcée par la majuscule à « Avenir », terme placé à la rime alternée, en liaison avec le verbe « bénir », ainsi que par l’hyperbole soulignée par la diérèse sur « milli/ards ».
Dans cet avenir, le poète ne manque pas de jouer un rôle décisif. Déjà le vers 11 associe le poète à cette renaissance de la ville : « sourdre le flux des vers livides dans tes veines », puisque Rimbaud joue sans doute sur le double sens de « vers », à la fois ceux qui détruisent le cadavre pour lui permettre une renaissance, et comme si « les vers » du poète étaient le sang qui fait revivre Paris. Puis au vers 16, explose le discours rapporté direct, martelé par la force des dentales [d] et [t] = « Splendide est ta Beauté ». Dans cette parole solennelle du « Poète », valorisé par la majuscule, nous lisons clairement le souvenir de Baudelaire, « Paris, j’ai pris ta boue, et j’en ai fait de l’or ». Le premier rôle du poète est donc bien celui d’alchimiste, apte à générer la « Beauté » à partie de la laideur.
Puis Rimbaud retrouve le rôle de prophète, qu’assignait déjà Hugo au poète, dans la sixième strophe de l’extrait choisi, au futur. À la façon du Christ, le poète, pour sauver les hommes, est celui qui se charge de toutes les souffrances, des larmes et des douleurs : « le sanglot des Infâmes / La haine des Forçats, les clameurs des Maudits » (vers 21-22), c’est-à-dire de tous les exclus, que la société rejette. Mais il sera aussi celui qui châtie, qui fouette par amour, pour corriger la ville de ses péchés : « Et ses rayons d’amour flagelleront les femmes / Ses strophes bondiront ».
La poésie violente et dénonciatrice de ce nouveau Christ devrait donc conduire à un avenir meilleur, car la ville sera comme purifiée.
Mais pour quel résultat ?
La dernière strophe forme une rupture brutale, marquée par un tiret, et sonne comme un signe d’échec, car tout semble redevenir identique : « Société, tout est rétabli ». Cette formule pourrait venir des Châtiments de V. Hugo, en réunissant deux titres des livres de ce recueil : « La société est sauvée », « L’ordre est rétabli ». On en revient donc à l’image traditionnelle de la grande ville, lieu de toutes les débauches, d’une part par la mise en relief en contre-rejet du mot du titre, « orgies », puis par la répétition de l’adjectif « ancien » : « Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars », allusion directe à la prostitution. Les deux derniers vers du poème créent autour du modernisme de la ville, éclairée par des réverbères au « gaz », une véritable vision d’enfer : « gaz en délire », « murailles rougies », « sinistrement », « les azurs blafards ». Dans ce derniers quatrain, Rimbaud place en contraste la voyelle ouverte [ a ] , qui amplifie la vision, avec l’aigu du [ i ], comme pour suggérer la plainte. Il oppose aussi les consonnes liquides [ l ] et [ r ], comme pour reproduire la coulée des larmes qu’implique le verbe « pleurent » aux sonorités sifflantes d’un « gaz » infernal, [ s ] et [ z ].
On est donc loin d’une radieuse vision d’avenir. Les « strophes » du poète n’auront, en fait, été qu’un moment de rage qui ne changera rien en l’image éternelle de Paris.
CONCLUSION
Rimbaud nous propose ici une image de Paris encore très marquée par les caractéristiques du romantisme. Nous y retrouvons, en effet, l’horreur de la grande ville, lieu de toutes les débauches, « Ulcère […] à la Nature verte »), mais aussi la ville de la révolution, des combats pour un avenir meilleur, ce poème étant très marqué par l’actualité. Enfin, on y voit aussi la ville De Balzac, et, surtout de Zola, point de rencontre de toutes les misères, de toutes les exclusions. En cela Rimbaud remplit le rôle fixé au poète par Hugo, celui du prophète, qui dénonce et guide vers l’avenir.
Mais, parallèlement, le choix de Paris comme thème permet la création d’une poésie nouvelle, révoltée à l’image du jeune Rimbaud avec la violence des images, les hyperboles, mais aussi le choc des sonorités. Les couleurs font alterner le noir et le blanc, puis le rouge, et le rythme traditionnel de l’alexandrin achève de se briser : la césure est effacée au profit de coupes secondaires plus fortes, de rejets et de contre-rejets. Tout se passe donc comme si, pour restituer le modernisme de Paris, il fallait moderniser la poésie ce que Rimbaud fera bien davantage dans les poèmes en prose des Illuminations pour d’autres villes, Londres, Stockholm.
« Crépuscule du matin »
INTRODUCTION
Parmi les villes, Paris est celle qui joue un rôle à part car, dès la seconde moitié du XIX° siècle, elle s’affirme comme un centre de culture où tous les artistes se retrouvent pour créer en lançant des courants nouveaux. Dans la poésie, les regards des poètes se croisent sur cette ville et Baudelaire lui dédie, dans son recueil Les Fleurs du mal, une section entière, qu’il intitule « Tableaux parisiens ».
Charles Baudelaire (1821-1867) est un représentant de ceux que l’on a nommés, au XIX° siècle, les « poètes maudits ». Il vit une enfance perturbée par le décès de son père, suivi du remariage de sa mère avec le général Aupick, détesté. Après des années de pensionnat, il joue les dandys à Paris, mène une vie de bohème, dilapidant son héritage, ce qui déplaît fort à sa famille. Placé sous tutelle financière, il gagne sa vie grâce à des travaux de critique littéraire et artistique, et commence à publier dans des revues. Mais le recours aux « paradis artificiels » détruit peu à peu sa santé, jusqu’à la syphilis qui l’emporte. [pour en savoir plus : http://www.alalettre.com/baudelaire-bio.php]
Baudelaire a hésité entre plusieurs titres pour son recueil. Il a d’abord pensé à Les Lesbiennes, titre provocateur, « titre-pétard » comme il le disait lui-même pour afficher sa volonté de choquer. Il correspondait surtout à la 4ème section du recueil, celle qui a été la plus censurée à la suite du procès subi dès la parution. Puis il envisagea un titre plus énigmatique, Les Limbes, terme qui désigne le lieu où vont les âmes des enfants morts sans baptême, lieu intermédiaire donc entre l’enfer et le paradis, les deux pôles d’attraction présents dans le recueil. Il choisit finalement Les Fleurs du mal, qui est aussi le titre de cette 4ème section, fondé sur un oxymore à double sens : soit l’idée romantique qu’il y a une beauté dans le « mal », soit, plus intéressante que du « mal » pourraient des « fleurs ». Cela nous amène alors à la notion de poète-alchimiste, doté du pouvoir de transfigurer la laideur par son art : « Paris, j’ai pris ta boue et j’en ai fait de l’or », déclare-t-il d’ailleurs.
Le recueil suit un itinéraire. Au centre, comme pour figurer le coeur d’une fleur, « le spleen », un profond mal de vivre qui associe le monde extérieur (froid, pluie, pauvreté) et l’angoisse existentielle, liée à l’ennui et au temps qui passe inexorablement. Puis l’on pourrait tracer 6 « pétales », les 6 « sections », autant de tentatives pour échapper au « spleen ».
- » Spleen et Idéal », dont l’ordre est, en fait, à inverser, puisque le recueil pose, dès son ouverture, deux idéaux, la beauté parfaite, et l’amour, sensuel ou sublimé.
- « Tableaux parisiens », ou comment échapper au mal qui vous ronge en errant dans la ville. Mais chaque « tableau » ramène au spleen.
- « Le vin » pourrait-il faire oublier? En fait, il ne conduit qu’aux pires crimes.
- « Les fleurs du mal » est la section qui représente toutes les formes que peut prendre le « mal », débauche, prostitution, « paradis artificiels »…
- « La révolte » est alors la tentation du poète, colère de l’homme contre Dieu, tentation du pacte avec Satan, mais, si elle soulage, elle ne permet pas d’échapper au spleen.
- « La mort » serait alors le dernier espoir : « Ô mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre ! », s’écrie alors le poète. Et le recueil se ferme sur ces ultimes vers : « Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau / Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? / Plonger dans l’Inconnu pour trouver du nouveau ! »
« Crépuscule du matin » est le dernier poème de la section « Tableaux parisiens » : il en constitue comme la synthèse, tout en annonçant la section suivante. Mais ce titre forme lui aussi un oxymore, puisque le « crépuscule », fin du jour, s’oppose au « matin », symbole du jour nouveau. Il suggère ainsi une ville où l’on vit à l’envers, où la nuit est le véritable temps vécu. On peut donc s’interroger sur l’image de Paris que ce « tableau » nous dépeint.
LES LIEUX
Le poème est construit autour d’un effet d’élargissement : il va de l’intérieur à l’extérieur.
Pour l’intérieur, Baudelaire nous présente d’abord des lieux clos de murs, signes déjà d’enfermement, « les cours des casernes », puis les chambres, enfin « le fond des hospices », lieu encore plus reculé. De l’ensemble ressort une impression de pauvreté, avec la reprise parallèle du verbe « soufflaient » au vers 16, à laquelle s’ajoutent « le froid et la lésine ». Puis il effectue un gros plan sur les « lits », montrés non pas comme des lieux de repos ni d’apaisement, mais de façon péjorative. On note, aux vers 3-4, la métaphore « l’essaim des rêves malfaisants » qui traduit les désirs érotiques insatisfaits des « adolescents ». Ensuite, aux vers 13-14, vient le sommeil des prostituées, qui, avec l’adjectif « stupide », ressemble plutôt à une sorte d’abrutissement animal. Il termine, des vers 18 à 23, par les lits de souffrances, ceux des femmes qui accouchent, dont « les douleurs s’aggravent », ou des « agonisants ».
Pour le monde extérieur, la progression se fait à l’inverse, du plus resserré au plus vaste. On passe, en effet, des « maisons çà et là », vues une à une donc, à une vision plus globale des « édifices ». Mais, dans les deux cas, un flou noie les formes dans un gris omniprésent : elles « commençaient à fumer » (vers 12), et « l’air brumeux » (vers 20) devient « une mer de brouillard [qui] noyait les édifices » (vers 21). L’ensemble conduit à l’image du dernier quatrain, « le sombre Paris », où l’adjectif se trouve amplifié par la prononciation exigée du [e] muet devant la consonne.
Ainsi le poème baigne dans une atmosphère sinistre.
LES ÊTRES HUMAINS
Le poème présente une galerie de personnages, tous désignés par le déterminant défini qui marque des catégories, au singulier au vers 11, mais, plus souvent, au pluriel.
Le déterminant singulier peut prendre une double sens. Soit il permet de particulariser, dans ce cas « l’homme » qui est « las d’écrire » serait le poète lui-même, qui compose son oeuvre de nuit, et « la femme », sa compagne pour la nuit. Soit il permet, inversement, d’élargir, et « écrire » désignerait alors la tâche de « l’homme », créateur, laissant son empreinte sur le monde, tandis qu’à la « femme » reviendrait la fonction d’ »aimer ».
Le déterminant pluriel place d’ailleurs au centre du tableau les femmes, parmi lesquelles nous distinguons 3 catégories. Il y a d’abord la périphrase, les « femmes de plaisir » (vers 13-14) qui représente les prostituées, dont le corps est marqué par les nuits de débauche, avec « la paupière livide » et la « bouche ouverte ». Cet épuisement du corps est souligné par le jeu sur les [e] muets, élidé, puis prononcé sur la coupe du vers. Puis « les pauvresses » (vers 15) sont, elles aussi, d’abord vues par leur corps. La misère a détruit le signe de leur féminité : « traînant leurs seins maigres et froids », où l’on notera l’allitération désagréable du [ R ] associé aux consonnes. Enfin sont évoquées rapidement les souffrances des « femmes en gésine », en train de donner la vie cependant.
Pour les personnages masculins, ce sont également les corps qui sont mis en valeur, les « bruns adolescents » étant déjà agités de désirs inassouvis, tandis que le texte se ferme sur ceux qui ont pu les réaliser, « les débauchés » alors « brisés » (vers 23). Un vers auparavant, étaient mentionnés « les agonisants », comme pour figurer le sort ultime promis à ces corps usés.
Ainsi la prédominance du corps se constate à travers tous les groupes évoqués, et cela se trouve expliqué au vers 7 : « Où l’âme sous le poids du corps revêche et lourd ». Reprenant ici l’idée philosophique platonicienne – et chrétienne – de dualité de l’être, Baudelaire oppose, par les deux adjectifs, la pesanteur de la matière, à l’aspiration à l’idéal. Il développe alors une double comparaison pour illustrer la lutte intérieure de ces deux composantes humaines : l’âme « imite les combats de la lampe et du jour », comme pour vaincre les ténèbres de la matière. Elle est ensuite comparée à « un oeil sanglant qui palpite et qui bouge », vision qui semble déjà traduire la mort, l’échec promis à cette force lumineuse : la lueur de la « lampe » ne peut pas plus vaincre les ténèbres que « l’âme » élevée ne peut vaincre le « corps » qui la maintient au sol.
Ce vers reprend donc le titre de la 1ère section du recueil, le combat entre le « spleen » et « l’idéal », et chacun des personnages représentés prouve le triomphe du « spleen », sous toutes ses formes.
LE SYMBOLISME
Cette étude conduit à analyser le symbolisme du titre.
En quoi s’agit-il du tableau d’un « crépuscule » ? C’est la fin d’une nuit que nous montre Baudelaire, et, pendant cette nuit, toute une vie s’est écoulée. Elle a été le temps de toutes les débauches, de toutes les douleurs : celles des « rêves malfaisants », celles du travail nocturne du poète, celles de toutes les formes d’amour, jusqu’au fait d’accoucher, celles de l’agonie, celles des débauches. D’où la comparaison qui traduit la disparition de la nuit, « Comme une visage en pleurs que les brises essuient / L’air est plein du frisson des choses qui s’enfuient », où l’allitération en [s] semble reproduire une sorte de souffle léger.
Par opposition des signes vont ponctuer le texte pour signifier le « matin », dès le deuxième vers, « la diane », bruit strident de la sonnerie du clairon pour réveiller la « caserne ». Puis, au vers 8, le « jour » va remplacer la « lampe », le « vent » va éteindre les « lanternes ». Ensuite au vers 20, le « chant du coq au loin déchirait l’air brumeux ». Ici les sonorités soulignent l’aspect rauque, et la comparaison qui suit l’associe à la mort, avec un jeu sur les sons : « Comme un sanglot coupé par un sang écumeux ». Le sang ici apparaît plus comme un « sang » de mort que de vie.Enfin le poème se clôt sur l’allégorie de la dernière strophe, avec l’image de « l’aurore » et Paris, « se frottant les yeux ».
Mais vers quoi s’ouvre ce matin ? Ouvre-t-il un espoir ? En fait, la nuit n’a apporté ni repos ni apaisement : au contraire « l’aurore » correspond au moment où s’intensifient les souffrances. D’ailleurs, malgré l’image colorée de l’aurore, qui rappelle celle d’Homère (« l’aurore aux doigts de rose »), ici « en robe rose et verte », elle semble, en réalité, sans forces, « grelottante » (vision soutenue par l’allitération en [R]) et épuisée avec l’adverbe « lentement ». Intervient alors la personnification de Paris en « vieillard laborieux », adjectif amplifié par la diérèse, comme si la ville elle-même avait subi l’usure du temps et n’avait, comme seul espoir, qu’une nouvelle journée d’un travail épuisant.
CONCLUSION
C’est bien un « tableau » que nous offre ici Baudelaire, qui maîtrisait parfaitement, comme le prouvent les articles des Salons, l’art pictural. Il y met en oeuvre les « synesthésies », ces « correspondances horizontales » associant les sensations, visuelles, auditives, tactiles, olfactives… pour créer une impression d’ensemble, une atmosphère sombre, pour reproduire l’état de « spleen » du poète. Celui-ci trouve, dans Paris, l’image de ses propres souffrance, créant ainsi une autre forme de « correspondance » entre l’état d’âme, le « microcosme », et le monde extérieur, le « macrocosme ». La foule de personnages peints n’est faite que de miséreux, misères de l’âme et du corps. Les couleurs sont sombres, noyées dans un brouillard à peine coupé de lueurs rouges, et par une aube, bien pâle, à la fin du poème.
Ce poème constitue un diptyque à rapprocher de « Crépuscule du soir », tout aussi sombre pour évoquer « la cité de fange ».
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