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nov 2013
La satire Ménippée, « De la vertu du catholicon d’Espagne », 1594 – Corpus : La satire au service de l’humanisme
Posté dans Corpus, Essai, La Renaissance, Littérature par cotentinghislaine à 1:58 | Commentaires fermés

Eloge du « catholicon »

Le contexte historique permet d’expliquer la nature de La satire Ménippée, ouvrage sous-titré « De la vertu du catholicon d’Espagne », et publié en 1594.

La satire Ménippée, La Sainte Ligue est une union des catholiques, constituée en 1576, pour lutter contre l’influence croissante des Réformés. Elle a soutenu le duc de Lorraine qui, profitant des guerres de religion, a tenté de s’emparer du trône. Ainsi Henri de Guise, chef des LIgueurs, provoque à Paris, en mai 1588, la « journée des barricades » contre le roi Henri III. Celui-ci le fait assassiner, et s’entend avec Henri de Navarre, le futur Henri IV, héritier de la couronne. Les Ligueurs sont battus à Senlis (1589), mais Henri III est à son tour assassiné par le moine Jacques Clément. Henri de Navarre, prince protestant, doit conquérir son trône, tandis que le duc de Mayenne, frère du duc de Guise, est nommé lieutenant général du royaume.

En ces temps troublés, pendant qu’Henri IV monte du Béarn sur Paris, la capitale est livrée aux « Seize », des ligueurs acharnés, qui font régner la terreur. Le duc de Mayenne convoque en 1593 les États généraux, qui doivent nommer un roi, mais ils se montrent incapables de rien décider. Henri IV, pour apaiser la situation, se convertit au catholicisme, ce qui lui permet d’accéder au trône.

satire2-104x150 dans EssaiL’ouvrage a été rédigé par un groupe de bourgeois de Paris, catholiques et soutenant la royauté légitime, heureux de saluer dans l’échec de la Ligue la victoire de la raison et de la patrie sur le fanatisme:  les chanoines Gillot, chez  qui se tinrent les réunions des auteurs, et Pierre Le Roy. C’est ce dernier qui est l’auteur de « La vertu du catholicon », et l’inspirateur du plan général de l’oeuvre. S’ajoutent à eux le poète humaniste Passerat, un érudit, Florent Chrestien, enfin des hommes de loi, Gilles Durant, Rapin et Pierre Pithou, qui a revu l’ensemble.

Le titre est emprunté à l’auteur latin Varron : il avait nommé « Ménippées » des textes mêlant la prose et les vers dans un mélange critique visant tous les sujets de sa société. Ménippe, philosophe du III° s. av. J.-C., disciple de Diogène le cynique, même s’il n’avait composé ni vers ni satires, était célèbre, en effet, par son humeur moqueuse et par son langage, franc et brutal. Deux siècles après Varron, l’auteur grec Lucien avait lui aussi présenté Ménippe comme type du railleur.
Quelques mois avant l’entrée du roi dans Paris, en 1593, est imprimé à Tours un court essai, intitulé la Vertu du Catholicon d’Espagne ; en 1594, après la soumission de Paris, est ajouté à cette brochure un Abrégé des Estats de la Ligue, et le tout reçut le nom de Satire Ménippée.
Le passage [ fichier doc La satire Ménippée
] se présente comme un éloge ironique d’une sorte de remède miraculeux, le  « Catholicon ». Mais que symbolise-t-il ? 

UNE PARODIE DE BONIMENT

bonimenteur-150x122 dans La RenaissanceOn appelle bonimenteur celui qui argumente habilement pour vendre sa marchandise. On les trouve donc sur les champs de foire ou les marchés, soit pour annoncer un spectacle, soit pour vendre toutes sortes de remèdes. Leur discours, ou boniment, a donc un double objectif : attirer le client en retenant son attention, et lui promettre, quand il s’agit de remèdes, une prompte guérison de toutes les maladies possibles.

Ce passage est construit en deux temps.
Les paragraphes II à IV inclus présentent des exemples de l’action efficace du « catholicon ». Ce sont tous des cas illustres, un « Roi », une armée, ce qui permet un raisonnement a fortiori : si le « catholicon » réussit pour des cas si importants, si difficile à régler, il ne pourra que réussir au niveau des individus, leur apporter chance et réussite.
Les paragraphes V à IX interpellent, eux, directement le « client ». L’énumération des verbes à l’impératif, aux lignes 19-20 et 28-29, représente toutes les vertus du « catholicon », les merveilleuses possibilités qu’il offre aux « clients » . Une interrogation rhétorique, à la ligne 22, « Voulez-vous être un honorable rieur et neutre ? », feint d’entrer dans la conscience de ce client potentiel, pour se mettre à sa place et imaginer ce qu’il peut souhaiter.

apothicaire-106x150 dans Littérature        On est intrigué, dès la lecture du titre, par le nom du produit vanté : « Higuiero ». Ce mot n’existe pas en espagnol. Peut-être vient-il d’une dérivation du terme « higo », signifiant « la figue » (« higuera » désigne « le figuier »), auquel s’ajoute le suffixe « - ero » qui marque l’agent ? Ou bien il serait créé par contamination entre « higiene », « l’hygiène », et « hierro », pour un objet fait de fer… Le terme désigne, en tout cas, un étrange produit, fabriqué tel un remède : « affiner cette drogue ». Son rôle de remède est également marqué dans le paragraphe VII par le parallélisme établi avec le « feu saint Anthoine » (cf. Note).

Ce remède existe d’ailleurs sous toutes les formes permises par la pharmacopée. La formule « cacheté de catholicon » le montre tel une pâte, un onguent. Le fait de l’utiliser « au bas de la lettre » pour la signature en fait un liquide, un sirop. Puis il devient une poudre, dont il faut peser la quantité : « une demi-drachme ». Il se transforme ensuite en une sorte de pilule : « « un grain de higuiero » (l. 17-18), « un grain de Catholicon en la bouche » (l. 29). On peut même en faire une substance qu’on ajoute à de la peinture : « Faites peindre […] des croix de Higuiero ». Enfin, le produit fonctionne aussi à la façon d’un talisman, pour protéger dans toutes les situations : « pourvu que vous colliez votre épée dedans le fourreau avec du Catholicon », comme pour purifier l’usage de cette épée. C’est même un laisser-passer qui ouvre toutes les routes des lignes 25 à 27.

         Enfin, pour séduire le futur acheteur, il faut insister sur l’efficacité totale du remède, qui exerce un effet quasi magique. Pour cela, le discours utilise trois procédés. La certitude de la réussite est marquée par l’emploi du futur, dans chaque paragraphe, toujours placé à la fin. La rapidité du succès est soulignée plusieurs fois, d’abord par la ponctuation : l’auteur choisit la parataxe, avec les deux points qui introduisent la conséquence. De plus, l’immédiateté du résultat est traduite par des formules telles « vous voilà » (l. 23) ou « il ne vous faut point de plus valable » (l. 25-26).
Ainsi , ce remède permet d’éliminer tous les obstacles, toutes les résistances. Le texte met cette idée en valeur par des jeux d’antithèses. On note, par exemple, dans « qu’il n’avait pu vaincre par armes en vingt ans », le contraste entre cette durée et l’immédiateté du résultat, ou l’opposition lexicale entre les hyperboles multipliées dans le paragraphe IV (« grande et puissante armée […] braves et généreux guerriers ») et le résultat : « engourdira tous les bras ». ), De même la restriction « bien qu’on vous connaisse pour tel », montre à quel point le fait de ne pas être arrêté comme pour « espion » est miraculeux. 

Ce discours imite bien le boniment d’un charlatan, mais ici parodique, car tous les résultats indiqués, au lieu d’être liés à la santé, sont associés à l’immoralité (« espion », « perfide et déloyal », « trahissez »…) ou au crime avec la récurrence du mot « assassiner ». D’où le second terme dans le nom du remède, « dell’ infierno » : il vient bien de l’enfer. Il y a donc une inversion des valeurs, base même du décalage comique.

UN VIOLENT PAMPHLET

Cet ajout de « dell’ infierno », en soulignant l’immoralité de l’action du « catholicon », nous guide vers les deux dénonciations, faites sur un ton polémique.

philippe-ii1-111x150         La première dénonciation est politique, avec une cible nettement visée, le Roi d’Espagne, Philippe II, qui a succédé à Charles Quint en 1580. Le texte critique son ingérence dans les affaires de l’Europe, par désir d’hégémonie : on note l’opposition entre « casanier », avec la mention du palais de l’« Escurial » où il réside,  et les pays cités : les « Flandres », la « France ».
Un double reproche lui est adressé, pour dénoncer cette ingérence. Une rumeur persistante voulait que le Roi d’Espagne entretienne, à son service, un réseau de Jésuites, lui servant d’espions, d’où  la mention du père Ignace (de Loyola), fondateur de la Compagnie de Jésus,
mention abusive puisqu’il est mort en 1556, bien avant l’assassinat évoqué, celui de Guillaume de Nassau, prince d’Orange en 1584, effectivement commis par un agent du roi d’Espagne.
En revanche, les deux noms cités aux lignes 5 et 6, ont joué un rôle important aux côtés de la Ligue.
Bernardino de Mendoza, après avoir espionné en Angleterre, dont il fut expulsé en 1584, reprend cette activité en France de 1584 à 1591, en apportant un soutien financier au duc de Guise et au parti de la Ligue. Son action a été déterminante dans la journée dite « des barricades ». Le jésuite Commolet, en 1593, appelle, lui,  dans tous ses sermon, à l’assassinat d’Henri III. Après cet assassinat, il déclare en chaire que l’assassin Jacques Clément est placé dans le ciel au rang des bienheureux. Les jésuites sont donc montrés comme des intermédiaires dangereux : « il lui trouvera homme », « ils lui fourniront d’un religieux apostat ». Ils disposent, en effet, d’argent pour recruter et placer des hommes dans les plus hautes sphères de l’État, comme le montre l’énumération des lignes 16 à 9. D’ailleurs l’expression « Soyez pensionnaire d’Espagne » invite à recevoir une rémunération du Roi d’Espagne.  

bataille-de-senlis-150x112        Le texte rappelle aussi à quel point l’Europe est troublée, depuis des années, par les guerres de succession. Philippe II espère, en effet, obtenir le trône de France pour sa fille, l’infante Isabelle d’Espagne, puisque lui-même a épousé Elisabeth de Valois, fille d’Henri II, cela pour éviter l’avènement d’un roi huguenot, Henri de Navarre. Ainsi il envoie ses propres soldats soutenir les Ligueurs, ce que rappellent les lignes 4 et 5, qui présentent l’ambition territoriale comme une sorte de caprice royal : « Si ce Roi se propose…» Le « catholicon » symbolise donc ce soutien du roi « catholique » dans le discours qui critique ces combats. On y note l’opposition entrele jugement mélioratif de l’auteur, « ces braves et généreux guerriers » qui se battent « pour la défense de la Couronne et Patrie », avec les majuscules valorisantes, et les termes péjoratifs qui les qualifient du point de vue espagnol, que l’auteur feint de reprendre : « piteux et horribles Français »

        A cette première critique s’ajoute  une dénonciation religieuse et morale, car le discours reflète aussi le conflit religieux qui déchire la France, depuis de multiples années. Le passage fait clairement apparaître les deux camps en présence.
D’un côté, il y a
le catholicisme de la Contre-Réforme, représenté par la Sainte-Ligue, et soutenu par les Jésuites et autres « Cardinaux, Légats et Primats ». Or, le discours souligne la grandeur des crimes commis par la comparaison à «Judas », mentionné à deux reprises, et par l’hyperbole péjorative : « ce prodigieux et horrible forfait ».
lordre-des-jesuites-150x97Les Jésuites sont d’autant plus dangereux que leur appartenance à l’Église excuse par avance les fautes qu’ils poussent à commettre. D’où l’imitation du discours des jésuites, avec la parenthèse en latin (« salva consciencia ) et l’amplification des lignes 9 à 11 (« sans craindre Dieu ni les hommes »), à nouveau avec une reprise des termes mêmes des jésuites, « coup du Ciel », qui appliquent hypocritement à la Providence l’assassinat d’Henri III.
De l’autre côté, nous avons les partisans de la Réforme
 : « Huguenots ou fauteurs d’Hérétique », « infidèles et Huguenots ». Le discours reproduit les termes péjoratifs employés contre eux. Mais, en même temps, le texte, aux lignes 18, 21, 24 et 31, montre l’inversion des valeurs, puisque ce sont les plus honnêtes des citoyens qui sont ainsi qualifiés
.

Ainsi le texte montre un pays qui fonctionne à l’envers, profondément gangrené par les interventions étrangères. Cette inversion est tellement flagrante qu’elle ne peut que choquer les lecteurs

CONCLUSION

Ce passage présente un éloge paradoxal. L’ironie qui parcourt le texte détruit, en effet, tous les arguments du discours des partisans de la Ligue qui avaient convoqué ces États généraux. Il se trouve renversé, ridiculisé, une sorte de carnaval bouffon d’idées. Mais, au-delà, un désir profond se manifeste : celui de la paix retrouvé avec l’avènement d’Henri IV. Mais la vie de celui-ci ne cessa pas d’être menacée, avec, par exemple, en décembre 1594, la tentative de Jean Châtel, dont lui-même a reconnu qu’il avait été influencé par les Jésuites au service de Philippe II, jusqu’à son assassinat en 1610 par Ravaillac.

Il est original aussi par le mélange de réalisme et de fantaisie. Le texte s’appuie, en effet, sur des faits historiques que tous les lecteurs de cet temps connaissaient parfaitement. Mais le ton adopté, celui de la parodie à travers ce boniment du premier des deux charlatans, l’Espagnol, relève, lui, de la pure fantaisie. 

 



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