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Cocteau, « La Machine infernale », 1934

 

La problématique

La Machine infernale, au théâtre Louis Jouvet  Dans La Machine infernale, pièce en quatre actes composée en 1932 et jouée le 10 avril 1934, Cocteau reprend le mythe antique d’Œdipe, hérité de la tragédie Oedipe-Roi de l’auteur grec Sophocle, pour présenter sa propre conception du tragique et de la place des hommes dans le monde.
Sachant qu’étymologiquement le mythe est une « parole », un récit transmis oralement au fil des générations, rien de surprenant à ce que chaque auteur se le réapproprie, le réinvente, le charge d’un sens en accord avec ses propres préoccupations et celles de son temps. Il est donc essentiel de mieux connaître Cocteau et la période de l’entre-deux-guerres, pour comprendre le choix de Cocteau, le sens qu’il va donner à ce mythe et le ton qu’il donne à sa pièce.

LE CONTEXTE POLITIQUE ET ECONOMIQUE

La III° République a survécu à la guerre, mais le jeu des alliances entre les divers partis ne stabilise pas la vie politique - le « Bloc national », puis « Union nationale », exalte les valeurs patriotiques - le « Cartel des Gauches », en 1924, unit parti socialiste et parti radical Enfin le mouvement ouvrier, puissant, rêve d’une révolution telle celle de 1917 en Russie.
Défilé des Croix de feu. Cette instabilité favorise l’émergence de nombreuses organisations extrémistes de droite, les « ligues », royalistes (« les Camelots du Roi »), fascistes (les « francistes »), voire antisémites : « les Croix-de-feu ». Tous défilent dans les rues… 

        En 1932 le Président du Conseil, Paul Doumer, est assassiné, puis, en 1934 à Marseille, le roi Alexandre de Yougoslavie et Barthou, le ministre des Affaires étrangères. Cela entretient un climat troublé, qui ne favorise guère la paix, et la situation économique n’arrange pas la situation !

L’armistice franco-allemand (11 novembre 1918), met fin à la 1ère guerre mondiale. Le bilan en est désastreux : villages en ruines, 9 millions de morts inscrits sur les monuments, construits par souscription publique, auxquels il faut ajouter 7 millions d’invalides et 350000 disparus. Une classe d’âge décimée !  
De plus le pays est lourdement endetté. L’inflation est galopante, et les pénuries s’aggravent : nourriture, médicaments, combustible manquent encore en 1920. Il faudra du temps pour redresser la situation… une dizaine d’années. 
Mais à peine l’équilibre économique est-il retrouvé que se produit, le 24 octobre 1929, le krach à la Bourse de Wall Street, à New-York. Il va avoir des répercussions sur le monde entier.
Une marche des chômeurs de la faim. En France, les faillites se multiplient, le nombre de chômeurs augmente, les files d’attente s’allongent devant les soupes populaires, des « marches de la faim » sont organisées. L’Allemagne, privée de ses colonies et contrainte à payer aux vainqueurs de lourdes réparations pour les  dommages de guerre, connaît une situation pire encore dans l’après-guerre, et sa monnaie est totalement dévalorisée. 

 

Guerre ou Paix ? Le rôle de Briand.   Cette situation économique explique en partie les troubles politiques qui secouent l’Europe, et elle va favoriser la montée des fascismes. A la SDN, Briand plaide pour la paix, mais l’on sent bien que le climat ne lui est guère favorable… C’est la guerre qui s’annonce. [ pour en savoir plus, on pourra se reporter au site du CRDP en lien, "l'héritage antique dans le théâtre français" - le XXème siècle ]

 

Cocteau : un homme dans son temps

[ Cf. un site intéressant : http://www.jeancocteau.net/bio1_fr.php]
Jean Cocteau dans sa jeuness De sa famille Cocteau (1889-1963) hérite le goût des arts et des plaisirs de la vie mondaine : il s’affirme très vite comme une sorte de dandy, brillant causeur, et cultive ses relations avec les personnalités en vogue, entre Paris et la Côte d’Azur, où il séjourne dans de grands hôtels ou les luxueuses villas de ses amis. 

Radiguet endormi, dessin de Cocteau, 1922  Avec Jean Marais  Il vit ouvertement son homosexualité en affichant ses liaisons, dont le romancier Raymond Radiguet, l’acteur Jean Marais… La mort de Radiguet, âgé de 20 ans en 1923, après une liaison tumultueuse de quatre ans, le bouleverse au point qu’il se réfugie dans l’opium, ce qui le conduira à suivre de nombreuses cures de désintoxication jusqu’à la dernière en 1940. Après la guerre sa renommée prend une dimension internationale: il devient le symbole vivant de « l’artiste », fantasque, original, anticonformiste. Suivre les pas de Cocteau, c’est donc, au fil des années, aller à la rencontre de tous ceux qui ont compté dans l’entre-deux-guerres, peintres, musiciens, danseurs… Coco Chanel, créatrice de mode, chanteuse Piaf, le boxeur Al Brown, qu’il encourage, l’auteur Jean Genet, en faveur duquel il témoigne, et jusqu’aux mécènes de ce temps, telle la famille de Noailles à laquelle il dédicace La Machine infernale…   
Cocteau débute sa carrière d’écrivain par la poésie, à l’occasion d’une matinée poétique que lui consacre le comédien De Max en 1908 et qui lui vaut un vif succès. L’année suivante il publie son premier recueil de poèmes, La Lampe d’Aladin, et jamais il n’abandonnera la poésie jusqu’à son élection, en 1960, au titre de « prince des poètes ». Il fréquente l’avant-garde des poètes (Apollinaire, Cendrars…), et se rapproche en 1919 des dadaïstes. Pourtant jamais Cocteau ne se reconnaîtra dans l’esthétique dadaïste, ni dans les recherches des surréalistes, avec lesquels il entrera d’ailleurs en conflit. Mais il reste marqué par une donnée fondamentale du Surréalisme, la place que ce mouvement accorde à l’inconscient, à la volonté de rendre à la poésie sa force d’expression de l’invisible, du rêve, des hasards qui ponctuent le réel.  En fait, toute son oeuvre peut être placée sous le signe de la poésie, si l’on définit cet art comme la recherche du mot assez puissant pour transfigurer la réalité, y faire apparaître ce que le regard ordinaire, prosaïque, ne sait pas distinguer. Toutes ses oeuvres baignent, en effet, dans une atmosphère à la frontière du rêve et de la réalité, ouvrant sans cesse la porte aux forces invisibles, toujours prêtes à se manifester. 

   La phrase de Diaghilev, directeur de la troupe des Ballets russes, dont la Première eut lieu à Paris en 1909, au jeune Cocteau: « Étonne-moi! » peut caractériser toute l’oeuvre de Cocteau, artiste protéiforme, toujours en quête d’innovation. 

Par Diaghilev il découvre le musicien Stravinski, le danseur Nijinski, et il se lance pour eux dans l’écriture d’arguments de ballets : Parade, en 1917, est tout à fait représentatif de cette avant-garde novatrice, puisqu’il a été réalisé en collaboration avec Diaghilev, Massine, son chorégraphe, Picasso pour les décors et les costumes, sur une musique d’Eric Satie. Cocteau devient ainsi le défenseur des musiciens du « Groupe des Six », parmi lesquels Milhaud et Honegger avec lesquels il réalisera de nombreuses créations. C’est aussi en compagnie de Milhaud qu’il découvre le jazz et, en 1922, participe aux soirées du cabaret « Le Boeuf sur le toit ». 

 

Dans la scolarité peu brillante de Cocteau, une exception, le dessin. Cette passion ne se démentira pas, et sortira renforcée de sa rencontre avec Picasso en 1915, qui restera un ami fidèle. La première exposition des oeuvres de Cocteau a lieu en 1926, puis elles se succèdent, avec de nombreux dessins qui illustrent ses propres écrits, par exemple ceux de l’édition originale de La Machine infernale. Du dessin à la tapisserie, il n’y a qu’un pas. Vient enfin le temps des grandes fresques murales, avec, notamment, la décoration de la chapelle de Villefranche-sur-mer. Ajoutons la poterie, à laquelle il s’initie en 1957, la verrerie, avec les vitraux réalisés en 1958 : son oeuvre reflète tous les mouvements du siècle dans le domaine des arts plastiques. 

Dans la littérature, même si son roman, Thomas l’Imposteur, paru en 1923, rencontre le succès, c’est au théâtre qu’il donne la pleine mesure de son talent. Sa carrière se fonde sur son intérêt pour les mythes antiques, avec Antigone, en 1922, puis Orphée,  en 1926. Mais certaines pièces feront scandale, comme Les Parents terribles, lors de la Première en 1939, ou La Machine à écrire, en 1941, qui provoqua la colère des autorités sous l’Occupation et fut alors interdite. 

Cocteau à la caméra. Enfin, pendant la guerre Cocteau découvre son ultime passion, le cinéma qu’il va nourrir de son imaginaire poétique et de son art du dialogue dramatique. Dialoguiste d’abord, il devient ensuite scénariste et accompagne les tournages de nombreux films qui ponctuent la fin de son activité artistique, tels La Belle et la Bête (1945-1946) ou Orphée, qui triomphe en 1950, primé par la critique et applaudi par le public. Ce succès dans le septième art, alors en plein essor, lui vaut d’ailleurs de présider le Festival de Cannes en 1953.   

Le mythe d’Oedipe

Oedipe et le berger. La naissance du fils de Laïos, roi de Thèbes, et de Jocaste n’aurait jamais dû avoir lieu, puisque le roi Laïos, après l’enlèvement du jeune fils de l’hôte qui avait hébergé son exil, avait été maudit par l’oracle de Delphes : s’il avait un fils, celui-ci le tuerait et épouserait sa propre mère. Le bébé est donc abandonné, les pieds liés. Mais il est recueilli par un berger, qui l’emmène à Corinthe, et est adopté par le roi Polybe. On le nomme Oedipe, « pieds liés », et il grandit en igniorant tout de ses origines. 

Le meurtre de Laïos  Parti sur les routes de Grèce, fuyant pour échapper à cette même malédiction d’un oracle, Oedipe rencontre en chemin Laïos, et le tue : « Et voilà le parricide », proclame la Voix dans le prologue.

Oedipe et le sphinx, coupe antique Mais Oedipe, en digne héros, va accomplir un exploit, tuer le monstre, « la sphinge » selon l’étymologie grecque, qui tue impitoyablement tous ceux qui ne savent pas répondre à son énigme : « Qu’est ce qui chemine sur quatre pattes le matin, sur deux pattes à midi, et sur trois pattes le soir ? » Victorieux, il remporte sa récompense, la main de la reine Jocaste, veuve : « Et voilà l’inceste », conclut la Voix. De ce mariage naîtront deux filles, Antigone et Ismène, et deux fils, Etéocle et Polynice, qui connaîtront eux-mêmes un terrible destin pour achever la malédiction originelle.

[ pour en savoir plus, on pourra se reporter au site du CRDP en lien, "l'héritage antique dans le théâtre français" - l'antiquité : le mythe d'Oedipe. ]

 

La structure

 

      L’observation des titres que Cocteau attribue aux 4 actes de sa pièce révèle déjà un choix fondamental qui l’oppose à ses prédécesseurs. Seul l’acte IV, en effet, intitulé « Oedipe-Roi », correspond à la tradition héritée de Sophocle, qui raconte l’enquête d’Oedipe pour découvrir le coupable du meurtre de Laïos, cause, aux yeux des Grecs dans l’antiquité, de la peste qui ravage la ville. cette enquête le conduira à découvrir, en même temps que son identité, son double crime, le parricide et l’inceste. Mais comme le précise la didascalie initiale, cet acte IV se déroule « dix-sept ans après« …

Les trois actes précédents sont donc une création originale de Cocteau qui, s’inspirant des éléments hérités du mythe, remonte le temps.Mais ces trois actes eux-mêmes suivent une chronologie spécifique. Les actes II (« La rencontre d’Oedipe et du sphinx ») et III (« La nuit de noces ») s’enchaînent, tandis que l’acte II, lui, marque un recul temporel par rapport à la fin du premier, « Le fantôme », ce qu’explicite « la Voix » qui ouvre chacun des actes à la façon du choeur antique séparant les épisodes : « Spectateurs, nous allons imaginer un recul dans le temps et revivre, ailleurs, les minutes que nous venons de vivre ensemble. »

De plus l’acte I est précédé par un prologue, pris lui aussi en charge par « la Voix », qui, comme dans l’antiquité, raconte par avance l’intrigue à venir, la double faute d’Oedipe: « Il tuera son père. Il épousera sa mère. » Il affirme ainsi le destin du héros. Et l’acte II, lui, représente l’épisode qui le scelle : c’est parce qu’il délivre Thèbes du Sphinx monstrueux qu’Oedipe peut épouser la reine Jocaste, veuve, promise au vainqueur.

=== Ainsi, si tout est joué par avance, que peut bien être l’intérêt de l’acte I qui fait apparaître le fantôme du roi, venu alerter la reine Jocaste d’un danger qui la menacerait ? 

[Pour découvrir les lectures analytiques de la pièce, utiliser le moteur interne de recherche : Cocteau]

 


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