De la biographie à l’autobiographie…
ou : Construction-reconstruction d’un personnage : comment l’écriture transforme-t-elle la réalité d’une vie en fiction?
… car l’oeuvre de Juliet [Edition Folio] repose sur une contradiction. Son point de départ est le réel : entreprendre une biographie implique une recherche objective des faits, de même rédiger son autobiographie, récit de faits vécus, repose sur un pacte de vérité conclu avec le lecteur (cf. infra). Dans les deux cas, il ne s’agit donc pas, à proprement parler, de « personnages ». Cependant, Juliet n’a pas connu cette mère, simple paysanne dont il raconte la vie, sur laquelle il n’a que très peu d’informations ; de plus, en écrivant son autobiographie, il cherche à créer un lien entre sa propre personnalité et cette mère inconnue, ce qui, ajouté au recul temporel, donne une dimension forcément très subjective au récit. On est donc conduit à s’interroger sur la part de la réalité face à celle de la fiction dans ces « romans » de vie qui mettent en scène des « personnages ».
LE GENRE BIOGRAPHIQUE
Né dans la Grèce antique avec Plutarque (50-125), ce genre littéraire repose, à l’origine, sur un double travail. Cet auteur des Vies des hommes illustres, ou Vies parallèles, élabore 50 récits de vies, dont 23 « paires » qui mettent en parallèle un héros grec et un héros romain. En cela, il fait un travail d’historien, se fondant sur des faits avec, en outre, une visée explicative : comment devient-on un homme illustre ? Il met donc en évidence les signes et les preuves d’héroïsme, à travers les origines du « héros », son éducation, le contexte historique qu’il a connu… Mais, en même temps, il se rapproche déjà du romancier dans la mesure où il s’agit aussi de faire un éloge, de proposer un modèle aux lecteurs, voire de construire un mythe célébrant le héros.
=== Cela restera longtemps la double caractéristique de toute biographie, par exemple avec l’hagiographie au moyen-âge, récits de la vie des saints.
Mais ce genre littéraire connaît une évolution, liée au développement de la sociologie à la fin du XIX° siècle, à l’intérêt nouveau porté sur les moeurs et les mentalités. Ainsi, alors qu’à l’origine le biographe ne s’intéressait qu’aux hommes célèbres, la vie d’un homme ordinaire peut devenir sujet de biographie, dans la mesure où il symbolise un statut social, un « cas » humain tout simplement. En témoigne, par exemple le récit de Corbin, La vie retrouvée de Louis-François Pinagot (1998), sous-titré « Sur les traces d’un inconnu » : il s’agit d’un sabotier, ayant vécu de 1798 à 1876.
Cela entraîne une inversion de la méthode de travail de l’écrivain. Autrefois, la méthode était déductive, puisqu’il posait d’abord son objectif, faire du personnage choisi un modèle, et organisait les faits autour de cela. A présent, il adopte une méthode inductive, plus scientifique : il réunit les faits, procède à une véritable enquête, et ce n’est qu’ensuite qu’il en tire les conclusions.
LES ENJEUX DE L’ECRITURE BIOGRAPHIQUE
Le principal enjeu pour le lecteur de toute biographie est donc de prendre la plus juste mesure possible de la part de vérité qu’elle comporte. Or, les difficultés sont multiples, évoquons-en quelques-unes, à partir de quelques réflexions sur ce sujet.
1. André Maurois, Aspects de la biographie, 1928 : » Faire de l’homme un système clair et faux, ou renoncer entièrement à en faire un système et à le comprendre, tel semble être le dilemme du biographe ».
Maurois souligne le risque que court le biographe, prisonnier d’un « dilemme ». Soit il choisit une mise en forme linéaire, il ordonne les faits, leur donne une logique, en sens : dans ce cas, ne risque-t-il pas de déformer, puisque cet ordre ne peut qu’être reconstruit a posteriori ? Soit, inversement, s’il se contente d’accumuler les faits récoltés, livrés en vrac sans analyse, ne va-t-il pas égarer son lecteur, perdu dans une foule de détails ?
2. Jean-Paul Sartre, La Nausée, 1938 : « A partir de 1801, je ne comprends plus rien à sa conduite. Ce ne sont pas les documents qui me font défaut [...]. Ce qui manque dans tous ces témoignages, c’est la fermeté, la consistance. Ils ne se contredisent pas, non, mais ils ne s’accordent pas non plus ; ils n’ont pas l’air de concerner la même personne. Et pourtant les autres historiens travaillent sur des renseignements de même espèce. Comment font-ils ? »
Dans son roman, le héros, Roquentin, compose une biographie, comme le fit Sartre lui-même, par exemple avec celle de Flaubert. Il pose ici un double problème, lié à la surabondance de documents, qui entraîne une multiplication des points de vue, donc une subjectivité multipliée. Comment choisir entre ces différents points de vue ? Si le biographe ne choisit pas et les restitue tous, il crée une impression de flou, d’inconsistance, et le personnage s’estompe. S’il choisit, n’introduit-il pas sa propre subjectivité, dont rien ne garantit qu’elle représente la vérité du personnage ?
3. Paul Murray Kendall, L’Art de la biographie, 1965 : « On peut vaguement l’appeler science, en ce que, pour une part de ses travaux, le biographe procède inductivement : il réunit les faits pour en tirer une conclusion. Elle est un art [...] parce que le biographe s’est lui-même mêlé à ce qu’il fait, et, comme le romancier, façonne ses matériaux pour en tirer des effets. »
Cette réflexion résume l’enjeu même de la biographie, la question de la vérité, en se plaçant à la fois du point de vue de l’auteur et du destinataire. En sélectionnant, triant, ordonnant, le biographe, même s’il a procédé à une rigoureuse enquête, infléchit forcément le réel, car, en tant qu’écrivain, il pense toujours aux « effets » qu’il veut produire sur son lecteur.
4. Daniel Madelenat, La Biographie, 1984 : « Comprendre, expliquer, décrire, représenter, c’est mettre un terme à l’infini prolifération de la singularité, imposer des schèmes logiques et des formes littéraires qui transcendent l’expérience et, en un certain sens, l’irréalisent ; c’est construire des sortes de modèles réduits, simplifiés, denses où s’organisent quelques grandes significations. Cette claire lisibilité s’achète au prix d’une immense perte quantitative. »
En d’autres termes, cet essayiste reprend l’idée exprimée chez Maurois et Sartre, l’opposition entre le « qualitatif », cette « claire lisibilité » recherchée à l’intention du lecteur, qui trahit le réel en l’appauvrissant, et le « quantitatif », qui relève de la documentation complète.
5. Jean-Claude Barreau, Biographie de Jésus, 1993 : « La naissance à Bethléem n’est pas certaine. Le Messie se devant d’être le descendant de David, il n’était pas inutile de la faire naître dans « la ville de David » (Luc, II, 4). Cette localisation pourrait être apologétique. Jésus lui-même n’y fait jamais référence. Dans les quatre évangiles de la vie publique, on parle seulement de Nazareth. »
Cette remarque pose une question fondamentale pour le biographe, celle de la fiabilité de la documentation, par exemple ici la dimension apologétique, l’éloge, qui peut fausser la source.
=== Si l’on applique ces questions à Lambeaux, deux éléments ressortent nettement.
D’une part la documentation dont a disposé Juliet est, en fait, très réduite. Sont mentionnés un « album de photographies » (p. 144), quelques témoignages vécus (pp. 144-145) et une documentation extérieure (pp. 145-146) pour le contexte historique. En fait, la plus grande partie du récit fait appel à l’imaginaire et à la subjectivité de l’écrivain qui réalise une sorte de fusion : il met en parallèle de mode de vie de sa mère naturelle, inconnue, et celui observé chez sa mère adoptive, tout comme il explique le caractère de sa mère adoptive à partir de ses propres traits de caractère.
D’autre part, le biographe dispose, en général, de deux choix d’énonciation. Le récit est fait souvent à la 3ème personne du singulier, et au passé simple, avec une focalisation omnisciente. L’écrivain se pose ainsi à la fois à l’extérieur, comme un témoin ainsi qu’un historien, et en même temps peut restituer et interpréter la vie intérieure de son personnage. Ou bien, dans certains cas, il recourt au pronom « je », soit parce qu’il insère des discours rapportés directs, soit parce qu’il fait de son personnage le narrateur lui-même. Or, Juliet, lui, choisit une énonciation très originale, avec le pronom « tu » qui donne à la biographie le ton d’une « lettre ouverte » adressée à cette mère disparue, et l’emploi du présent. Le récit prend vie, le personnage s’anime ainsi sous les yeux du lecteur, l’effet de vérité se trouve renforcé alors même que s’exprime pleinement la subjectivité de l’écrivain.
Il est utile de lire, à ce propos, le « préambule » de l’oeuvre (pp. 9-10), dont les dernières lignes posent clairement l’objectif de Juliet : « Te ressusciter. Te recréer. Te dire au fil des ans et des hivers avec cette lumière qui te portait, mais qui un jour, pour ton malheur et le mien, s’est déchirée ». Si, en effet, le verbe « ressusciter » traduit un désir de faire renaître l’autre disparu à l’identique, « recréer » laisse une place au travail de fiction exercé sur un personnage. Enfin, cette phrase marque nettement le lien entre la mère et le fils, qui, en évoquant sa propre vie, l’éclairera de ce « malheur » initial.
L’AUTOBIOGRAPHIE
L’autobiographie est un genre littéraire tardif. Certes, on peut citer les Confessions de l’auteur latin Saint-Augustin (354-430), mais ce n’est pas vraiment un récit de vie, plutôt une méditation sur ses fautes et une réflexion sur sa foi chrétienne. Cette origine religieuse peut expliquer le retard du développement du genre, puisque, pour l’Eglise, le « moi est haïssable » : il lui faut s’effacer, pour ne pas commettre le péché d’orgueil. C’est d’ailleurs le reproche que Pascal, au XVII° siècle, adresse aux Essais de Montaigne, rédigés au XVI° siècle : « le sot projet que Montaigne a eu de se peindre ». Celui-ci déclarait : « Je suis moi-même la matière de mon livre ». Mais, dans cette oeuvre, on reste encore loin du récit de vie chronologique : celui-ci n’est que le prétexte à des réflexions philosophiques, et s’efface souvent derrière les analyses de lecture ou les remarques sur ses contemporains.
C’est sans doute la montée de l’individualisme au XVIII° siècle qui explique la naissance de l’autobiographie au sens où on l’entend aujourd’hui, avec Rousseau, Les Confessions (1782-1789). Ce genre prend son essor avec le romantisme, qui privilégie l’interrogation sur soi-même, et, de nos jours, chacun peut écrire son « autobiographie », ne serait-ce qu’à travers des blogs…
LE « PACTE AUTOBIOGRAPHIQUE »
Philippe Lejeune a posé le concept de « pacte autobiographie », qui permet de bien comprendre les enjeux de ce genre littéraire. Etymologiquement, celui-ci désigne l’écriture par soi-même de sa propre vie : l’énonciateur se prend lui-même comme objet de son récit, il y a fusion du sujet et de l’objet.
Cela implique donc un dédoublement du « je », puisqu’il y a l’écrivain du présent et lui-même dans son passé, devenu son propre personnage. Or, cet écart temporel pose un double problème : celui dû à la mémoire, qui peut avoir des « trous », des failles, ce qui exige alors une reconstitution, et le désir d’expliquer ce « je » passé, de lui donner sens, explicitation qui peut être faussée par l’état présent lors de l’écriture.
Pour répondre à ces doutes, un « pacte » se met en place, explicitement (c’est ce que fait Rousseau dans le « Préambule » des Confessions) ou implicitement : l’auteur promet de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, devant son juge, le lecteur, qui, lui, s’engage à croire en sa sincérité. L’autobiographie étant une mise à nu de soi, y « tricher » ne lui ôterait-il pas toute sa raison d’être ?
Ainsi Juliet, à la fin de son récit, fait une allusion à la part de vérité de son autobiographie, réponse à nos doutes éventuels et pacte implicite qu’il nous rappelle : « Tu viens d’écrire. Tu penses à cet adolescent que tu as été. Ou plus exactement, en cet instant, il vit en toi. Il est là, aussi réel que tu peux l’être, avec sa peur, ses blessures, ses frustrations, ses avidités… » (p. 152).
Présentation
L’AUTEUR
Outre les quelques renseignements figurant dans l’édition Folio, Lambeaux nous fournit un certain nombre d’informations complémentaires, puisque la 2nde partie est autobiographique. Juliet naît en 1934 dans l’Ain, il est le 4ème enfant d’une famille paysanne. Un mois après sa naissance, suite à une dépression sa mère est enfermée dans un hôpital psychiatrique, jusqu’à sa mort, à 38 ans. L’enfant est alors placé dans une famille adoptive voisine. À 7 ans, il apprend le même jour l’existence et la mort de sa mère biologique. À 12 ans, il poursuit ses études dans une école militaire à Aix-en-Provence jusqu’à ses 20 ans, puis est admis à l’école de santé militaire de Lyon. Mais à 23 ans, il renonce à ses études pour se consacrer à l’écriture d’un journal qu’il va tenir pendant des décennies. Puis poésie, nouvelle, théâtre, il travaille 15 ans avant de voir paraître Fragments en 1973.
En 1989, L’Année de l’éveil lui permet d’aborder la forme du récit à travers son histoire personnelle, en l’occurrence son expérience à l’école militaire et sa jeune vie d’adulte. C’est ce récit et plus tard Lambeaux (1995) qui le font connaître du grand public.
LE TITRE
Si Juliet s’est essayé à plusieurs formes d’écriture, son œuvre montre une unité de thème, la recherche de soi : « Je n’ai jamais décidé d’employer telle ou telle forme. Cela s’est fait au fur et à mesure de mon cheminement. De toute manière, quel que soit mon mode d’écriture, j’ai le sentiment que je dis toujours la même chose. Il est sans cesse question de cette même aventure intérieure. Je ne sais rien d’autre. » (« Charles Juliet en son parcours », entretiens avec Rodolphe Barry - cf. aussi un site avec des extraits vidéo intéressants : http://ecrivains.lectura.fr/index.php?post/2008/04/24/Charles-Juliet-un-cheminement).
L’écriture de Lambeaux a pris une douzaine d’années, de 1983 à 1995 : il a d’abord écrit « une vingtaine de pages », puis s’est arrêté, pour reprendre à plusieurs reprises. La fin du récit (pp. 150-151) évoque ces difficultés.
Le titre, Lambeaux, est polysémique. Dans son 1er sens le terme désigne un morceau d’étoffe, de papier, de matière souple, déchiré ou arraché, détaché du tout ou y restant attaché en partie. Il s’emploie aussi pour des morceaux de chair. Au sens figuré, il renvoie à ce qui reste, subsiste d’un tout divisé, arraché, usé ; ce sont des fragments, des débris que l’on recueille.
Juliet, lui, mêle ces deux sens : la notion de chair déchirée (celle de la mère, puis celle de l’enfant), et celle de débris recueillis, les fragments de souvenirs qu’il a pu reconstituer, et les fragments de sa propre vie.
Le temps qui passe fait de notre mémoire une collection de souvenirs dont beaucoup ont été oubliés ou transformés par rapport à la réalité. Écrire un récit de vie, c’est donc récupérer ces morceaux de souvenirs, ces « lambeaux », et leur donner du sens les uns par rapport aux autres, en construisant un personnage.
Même l’écriture est fragmentaire, en « lambeaux », avec de nombreuses phrases juxtaposées, elliptiques, des blancs typographiques qui séparent les moments du récit.
LA STRUCTURE
L’oeuvre comporte 2 parties distinctes, dans les 2 cas, un « personnage » est mis en place. La première partie, qui raconte la vie de la mère, de son enfance à sa mort, est, en fait, une reconstruction de cette mère, dont il n’a appris l’existence qu’à l’âge de 7 ans : une véritable recherche pour la « recréer ». La seconde partie évoque sa propre vie, de l’enfance aux côtés de sa mère adoptive jusqu’à l’accès à l’écriture, et elle montre son propre travail de reconstruction par l’écriture, afin de se donner une identité, de donner à un sens à sa vie. Pour lui, « le rôle de l’écrivain est de prêter à autrui les mots dont il a besoin pour avoir accès à lui-même », or ici, cet « autrui », est lui-même pris pour personnage. (« Charles Juliet en son parcours », cf. supra).
La séparation de l’œuvre en 2 parties correspond aussi à la déchirure fondamentale : la séparation de l’enfant d’avec sa mère. Écrire devient alors combler la déchirure : de nombreux échos entre les 2 parties rapprochent les deux personnages, à commencer par la 1ère phrase de chacune d’elles (p. 13 et p. 91).
LE PREAMBULE
A la façon d’une préface, il a une fonction introductive : il présente l’héroïne et les objectifs de l’écriture.
La présentation de l’héroïne progresse de l’extérieur vers l’intérieur, permettant de mieux comprendre aussi le rôle qu’a pu jouer la documentation. Par exemple le portrait physique se fonde sur les photographies observées, « Tes yeux. Immenses. Ton regard doux et patient [...]« , jusqu’à l’indication de la position : « appuyée de l’épaule contre le manteau de la cheminée. A tes pieds, ce chien au regard vif [...]« . Pour le contexte, l’auteur le connaissait bien lui-même : « Dehors, la neige et la brume. Le cauchemar des hivers. De leur nuit interminable. La route impraticable [...]« . Il lui était alors aisé d’extrapoler ce que pouvait ressentir cette mère inconnue : « Ta morne existence dans ce village. »
Pour la vie intérieure de son héroïne, l’auteur dispose de peu d’éléments, la rédaction du journal, quelques témoignages, et l’internement psychiatrique. Il est donc conduit à davantage interpréter, en choisissant de mettre en parallèle l’opposition temporelle (hiver / printemps) et l’état psychologique : tristesse / espoir. Cela est renforcé par un jeu d’images opposant la lumière (« ce feu qui te consume », « ta lumière », » la route [...] qui brille », « [tu] te livrais éperdument à la flamme », « cette lumière qui te portait ») à l’obscurité (« la nuit meurtrit ta lumière », « la brume », « leur nuit interminable », « la nuit qui n’en finissait pas »), qui s’affirme victorieuse dans cette lutte intérieure. Les images d’échec et de mort se multiplient.
Ce préambule pose aussi le rôle de la biographie. Le lecteur est immédiatement frappé par le tutoiement, inhabituel, qui donne l’impression d’un dialogue intime, paradoxal puisque cette mère est restée inconnue. L’écriture se fait ainsi conversation, second paradoxe pour peindre une héroïne qui, précisément, était trop enfermée dans sa solitude pour pouvoir dialoguer : « Tes mots noués dans ta gorge. », « ton incessant soliloque », Nul pour t’écouter, te comprendre, t’accompagner. », « Au fond de toi, cette plainte, ce cri rauque [...] que tu réprimes. » D’une part, cela explique le choix d’une écriture fragmentée, avec de courtes phrases, souvent non verbales, et de nombreuses répétitions. D’autre part, cela assigne une fonction à la biographie : se substituer au dialogue impossible, « pour ton malheur et le mien ».
Cette formule, qui exprime l’irrémédiable séparation entre la mère et son fils, en même temps, les relie dans ce partage de la souffrance, et l’écriture devient, de ce fait, une double réponse. C’est, d’abord, la réponse donnée à la mère : sa certitude de la toute-puissance de la mort, « Tu sombrais. Te laissais vaincre. Admettais que la vie ne pouvait renaître », est contredite, en effet, par « Te ressusciter. Te recréer ». En même temps, l’interprétation psychologique, affirmée avec force (« Ta fuite est vaine et tu le sais », « tu vas et viens en toi ») donne l’impression que le fils partage aussi ces états d’âme, ces interrogations. L’écriture, en répondant à l’angoisse du « tu » (« ce qui te ronge, comment t’en défaire ? ») n’est-elle pas finalement le moyen de répondre à celle du « je » biographe ? Biographie et autobiographie fusionnent alors.
[ pour les lectures analytiques, voir dans "Mes articles" au moyen du moteur interne de recherche.]
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.