Présentation de la nouvelle
BIOGRAPHIE DE MERIMEE
De sa famille Mérimée hérite son goût pour l’art, une solide culture classique, et il fréquente très jeune les milieux artistiques. Dès 1829, il se fait connaître par Le Théâtre de Clara Gazul, début de sa carrière littéraire, avec, notamment, des nouvelles qui assureront son succès, telles La Vénus d’Ille (1837) ou Colomba (1840). Ami de Stendhal, Mérimée, même s’il est marqué par le mouvement romantique, n’en approuvera jamais les excès, contre lesquels il lancera des jugements sévères. Parallèlement, après des études de droit, il mène une carrière d’Inspecteur général des Monuments historiques : elle le conduit à faire de nombreux voyages, et il se passionne pour l’histoire, l’archéologie, les traditions empruntées à diverses cultures.
« J’ai toute ma vie cherché à être dégagé des préjugés, à être citoyen du monde avant d’être français »
Pour en savoir plus sur la vie de Prosper Mérimée : http://www.alalettre.com/merimee-bio.php et http://www.merimee.culture.fr/accueil_flash.html
LA STRUCTURE DE LA NOUVELLE
On caractérise la nouvelle comme un « récit court ». Mais plus que sa longueur, qui peut varier d’une page à 80 pour les plus longues, ce sont sa concentration et sa schématisation qui la caractérisent. Celle de Mérimée, comme une pièce de théâtre classique, est construite en cinq actes.
Une brève exposition présente l’armement du navire négrier et son capitaine. Elle exerce le double rôle d’informer sur le passé du capitaine Ledoux (nommé par antiphrase) et sur la situation historique, puis de séduire en créant un horizon d’attente avec la récurrence de « L’Espérance partit un vendredi » pour créer un mauvais présage. Qu’arrivera-t-il à ce navire négrier?
Puis vient le nœud de l’action, l’achat des esclaves. Il se déroule conformément à l’usage lors des négociations de « Traite ». Il offre le double intérêt narratif de mettre en place le portrait du héros éponyme, Tamango, et d’introduire la thématique, une réflexion sur l’esclavage et ses réalités. Il présente aussi l’élément perturbateur : ivre et sous l’effet de la colère, Tamango offre sa femme, Ayché, au capitaine Ledoux. Cet acte le conduira à bord du navire.
La péripétie raconte la vie à bord du bateau négrier qui emmène Tamango et ses compagnons vers les Antilles. Très vite celui-ci songe à se libérer pour reprendre Ayché, et tente de pousser les esclaves à la révolte. L’élément de résolution est représenté par un objet, la « lime » qui permettra à quelques esclaves de se libérer de leurs fers, puis de délivrer les autres, qui monteront à l’assaut de l’équipage blanc. Cette partie est construite en deux temps. Il y a un mouvement ascendant, puisque la libération conduit à la victoire des esclaves ; mais le mouvement s’inverse : personne n’étant capable de diriger le navire, les esclaves courent à leur perte, les uns après les autres.
Le dénouement, très rapide, présente la mort d’Ayché, et, avec un effet de surprise, la survie de Tamango. Mais a-t-il pour autant recouvré la liberté?
=== Le lecteur est ainsi invité à réfléchir sur la question de l’esclavage et sur le comportement du monde occidental vis-à-vis du monde noir.
L’ACTUALISATION SPATIO-TEMPORELLE
L’actualisation spatiale y est très réduite, ici essentiellement limitée à 2 lieux. La terre d’Afrique, lieu natal des esclaves, est aussi le lieu du rêve de liberté : « On dort, on rêve de l’Afrique, on voit des forêts de gommiers, des cases couvertes en paille, des baobabs dont l’ombre couvre tout un village ». (p. 43) Mais c’est le bateau négrier qui sert de cadre principal à la nouvelle, permettant ainsi un huis-clos oppressant. En sortir est impossible puisque l’océan représente la mort.
À part la mention du jour du départ de Nantes, un « vendredi », aucune notation temporelle ne permet de chiffrer la durée des faits racontés. Les indications temporelles jouent sur un effet de contraste entre la vitesse et la lenteur. La traversée de Nantes en Afrique fut « rapide », l’achat des esclaves n’occupe qu’une journée, tout comme « le grand jour de liberté et de vengeance ». En revanche le reste du récit semble durer une éternité, avec un temps immobile, qui figure la situation tragique des esclaves, qu’il s’agisse de leur emprisonnement ou de leur liberté, fictive puisqu’il ne pourront échapper à l’océan. Sur ce temps indéterminé, « une longue attente », qui est celle de la mort, seuls se détachent deux faits. La « nuit » fit entendre « un cri de femme horriblement aigu », qu’on peut supposer être le viol d’Ayché par le capitaine Ledoux ; « le lendemain » intervient la demande de la « lime » de Tamango à Ayché.
Le contexte de la nouvelle
L’inspiration de Tamango peut s’expliquer par la rencontre de Mérimée avec Frances Wright (1795-1852), fervente partisane de l’abolition de l’esclavage aux USA. Mais il s’est sans doute souvenu également de la capture du « Vigilant », navire négrier français, par les Anglais, après un combat naval, le 15 avril 1822, dont la presse se fait écho, ainsi que de la condamnation du capitaine à Nantes en mars 1823. A bord, se trouvaient 345 Noirs, dans un état déplorable.
La traite est l’enlèvement et le trafic des Africains en vue d’effectuer un commerce. Dans la nouvelle il s’agit de la traite européenne de l’Atlantique Nord, entre les XVI° et XX°siècles, la plus massive sur une brève durée : 12-13 millions d’Africains sont devenus esclaves, la plupart sur le continent américain et aux Antilles. Les chiffres de cette traite, ou « commerce triangulaire », dit aussi « du bois d’ébène », sont établis à partir des registres des ports négriers d’Europe occidentale. Mérimée, pour créer un effet de réel, actualise localement sa nouvelle, non sans erreurs ou approximations : rivière de Joale (nom d’un petit port de la Zambie, pays situé à l’intérieur du continent !), langue des Noirs dite « zolofe » (pour Wolof, langue parlée au Sénégal), présence parmi eux de vieillards un peu magiciens appelés « guiriots », au lieu de griots…
En revanche les conditions politiques sont restituées avec exactitude : l’histoire se déroule à une époque de déclin de la Traite. En 1614, Louis XIV avait autorisé officiellement la Traite. Pour réglementer les conditions de vie des esclaves, Colbert édicte, en 1685, le Code Noir, qui fixe les obligations des maîtres et celles de leurs esclaves. En 1715 a lieu, aux Antilles, la « Révolution du sucre » : la demande croissante en Europe provoque un développement des plantations de canne à sucre, et le besoin de main d’oeuvre augmente. La Traite s’intensifie alors. Mais en 1794, la France révolutionnaire abolit l’esclavage dans toutes ses colonies et accorde la citoyenneté française à tous les hommes sans distinction de couleur. Cependant cette première abolition contrariait le commerce français. C’est pourquoi Bonaparte, devenu Premier Consul, avait rétabli la traite et l’esclavage le 20 mai 1802. L’Angleterre, elle, abolit la traite en 1807 et incite les autres pays européens à suivre sa politique. Napoléon, revenu au pouvoir pour les Cent jours, décrète au Congrès de Vienne la fin de la traite le 29 mars 1815, plus dans un geste politique à l’égard des Anglais que par humanité vis-à-vis des Noirs. Lettre morte… Sous la pression des Anglais, Louis XVIII est enfin obligé en 1817 de reconnaître cette interdiction, mais en ne faisant rien pour faire appliquer la loi.
C’est cette période qu’évoque Mérimée. On faisait alors semblant de ne pas voir les négriers équipés dans les ports, Nantes demeurant » clandestinement » le premier port négrier français avec 95 expéditions en 1824-1825, port d’où s’embarque « l’Espérance » chez Mérimée. Pour faire respecter la loi, ce sont les Anglais, qui se font les policiers des mers : « Quand la traite des Nègres fut défendue, et que, pour s’y livrer, il fallut non seulement tromper la vigilance des douaniers français, mais encore, et c’était le plus hasardeux, échapper aux croiseurs anglais, le capitaine Ledoux devint un homme précieux pour les trafiquants de bois d’ébène. » Le personnage de Mérimée redoute la surveillance anglaise des côtes de Guinée, et c’est une frégate anglaise qui, à la fin, recueille Tamango et l’emmène à Kingston, en Jamaïque. Peu à peu, le trafic négrier s’éteint, car les colonies, dont l’économie est liée à ce négoce, ne jouent plus qu’un rôle secondaire dans l’économie française. L’Angleterre montre la voie en abolissant l’esclavage en 1833, mais la France tarde encore : c’est Victor Schoelcher, sous-secrétaire d’Etat aux colonies de la 2nde république qui obtient, en 1848, la signature du décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.
LE NAVIRE NÉGRIER
L’armement négrier était, en France, très concentré : 500 familles seulement ont armé, à Nantes, Bordeaux et La Rochelle, 2800 navires pour l’Afrique.
Boyer Peyreleau décrit vers 1823 un navire négrier : « Qu’on se figure des êtres humains entassés comme des ballots de marchandises dans des compartiments qu’ une cupidité barbare leur a ménagés avec parcimonie, où ils ne respirent qu’un air méphitique qui les tue (…) Ces malheureux, la plupart décharnés et accroupis comme des brutes, soutiennent à peine leur tête où l’on ne découvre presque plus d’ expression ; de jeune femmes de 15 à 16 ans exténuées de besoin et de misère, tiennent des enfants à leurs mamelles déjà pendantes et desséchées. L’horreur de ce tableau est encore accrue par les maladies que l’insalubrité et les privations ont produites. Le quart plus ou moins de la cargaison est ordinairement moissonné pendant la traversée et ceux qui survivent paraissent insensibles à la mort de leurs compagnons, le même sort les attend d’un instant à l’autre. Pourrait-on s’imaginer que des hommes qui se disent civilisés et chrétiens se rendent ainsi de sang-froid les bourreaux d’autres hommes dont tout le tort envers eux est d’ être nés sous d’ autres cieux et d’être d’une couleur différente ? »
Le navire négrier devait répondre à plusieurs exigences. Il devait être polyvalent, pour contenir marchandises et captifs. Le volume de la cale devait être très important pour l’eau et les vivres : en comptant 2,8 litres d’eau par personne et par jour, pour 45 marins et 600 captifs, sur un voyage de deux mois et demi, les besoins en eau sont de 140000 litres ; il fallait compter 40 kilos de vivre par personne. Les marchandises en cale, destinées à être échangées contre les esclaves, devaient être nombreuses et diversifiées : des textiles, des armes, des alcools, des matières premières brutes, des articles de fantaisie. Le fret d’un négrier représentait 60 à 70 % du montant de la dépense nécessaire à l’armement du navire.
La hauteur de l‘entrepont était comprise entre 1,40 et 1,70 mètre : il servait de parcs à esclaves. Pour gagner en surface, le charpentier construisait un faux pont, sur les côtés. Le taux d’entassement était important. Dans un volume représentant 1,44 m³, les Portugais plaçaient jusqu’à cinq adultes, les Britanniques et les Français, de deux à trois. Ces conditions de transport causaient une très forte mortalité : 30% au début de la traite, 15% pendant la période illégale. Ainsi, dans Tamango, le capitaine se félicite : « Son bois d’ébène se maintenait sans avaries. Point de maladies contagieuses. Douze Nègres seulement, et des plus faibles, étaient morts de chaleur : c’était bagatelle. »
Les conditions de vie étaient terribles pendant la traversée qui durait entre un et trois mois, en moyenne 66 jours. Les captifs, enferrés deux par deux, couchaient nus sur les planches. En cas de mauvais temps, ils restaient enfermés. Il n’y avait ni vidange, ni lavage des corps, ni nettoyage des sols. Le contenu des seaux coulait sur les planches, se mêlait à la pourriture, aux vomissures… Toutes les écoutilles pouvaient être closes. L’obscurité, l’air rendu irrespirable, le roulis qui faisait frotter les corps nus sur les planches, la croyance en un cannibalisme des négriers blancs terrorisaient et affaiblissaient les captifs.
Si le temps le permettait, les déportés pouvaient monter sur le pont. Les seaux à déjection étaient alors vidés, l’entrepont était gratté et nettoyé au vinaigre. Toujours enchaînés, les hommes restaient séparés des femmes et des enfants. Ils montaient par groupes sur le pont supérieur. Les fers étaient vérifiés et ils étaient lavés à l’eau de mer. Deux fois par semaine, ils étaient enduits d’huile de palme. Tous les quinze jours, les ongles étaient coupés et la tête rasée. Vers neuf heures, le repas était servi : fèves, haricots, riz, maïs, igname, banane et manioc. Mérimée évoque l’une de ces « sorties », destinées à préserver la cargaison : « Tour à tour un de ces malheureux avait une heure pour faire sa provision d’air de toute la journée. [...] L’exercice est nécessaire à la santé ; aussi l’une des salutaires pratiques du capitaine Ledoux c’était de faire souvent danser ses esclaves [...]«
DE L’ACHAT À LA VENTE
Les esclaves sont collectés dans les villages, souvent par des trafiquants eux-mêmes africains, et, après une marche rendue pénible par le « carcan », sorte de fourche de bois qui les relie en file, ils sont regroupés sur le lieu de la négociation.
Ils défilent un à un devant l’acheteur, tandis que le vendeur vante leurs qualités. Ensuite commence un long marchandage, tel que celui raconté dans Tamango. Il s’agit, de part et d’autre, d’obtenir le meilleur prix possible. En même temps, le négociant écoule les produits, tissus, bijoux de pacotille, alcool et armes notamment, apportés d’Europe dans ses cales.
Située à 4 kilomètres de Dakar, dans une large baie abritée, l’île de Gorée était le point de départ parfait pour la traversée de l’Atlantique. Découverte par les Portugais en 1444, possédée tour à tour par les Hollandais, les Français (1677), les Anglais (1693), elle est redevenue française en 1817. Avec le développement de la culture sucrière aux Antilles, elle est devenue un important point d’embarquement, qui reste aujourd’hui un lieu de souvenir : « En deux siècles, des dizaines de milliers d’êtres humains ont transité par cette geôle ; l’île a retenti des cris des esclaves fouettés, des familles séparées à jamais ; l’atroce fumée des chairs brûlées — on marquait les esclaves au fer rouge — a obscurci le bleu tranquille par dessus les toits. » (Michel RENAUDEAU, Le Sénégal)
Il ne restera plus, après le long voyage, qu’à vendre les esclaves au meilleur prix, comme l’espère Ledoux dans Tamango : « Le capitaine ne pensait plus qu’aux énormes bénéfices qui l’attendaient dans les colonies vers lesquelles il se dirigeait. [...] À la Martinique, où ils arriveraient dans peu, chaque homme recevrait une gratification. »
LES RÉVOLTES
Les révoltes d’esclaves ont toujours existé, on les évalue à une tous les 8 transports, souvent près de la côte africaine. Certaines ont réussi, et sont restées dans les annales. En 1532, 109 esclaves se rendent maîtres du Misericordia, un navire portugais. Seuls 3 rescapés réussissent à s’enfuir. Le navire disparut. En 1650, un navire espagnol sombre au large du cap de San Francisco. Les Blancs survivants sont tués par les captifs africains. En 1752, les esclaves du Marlborough se révoltèrent. On n’entendit plus jamais parler d’eux.
Mais le plus souvent, elles échouent, et les meneurs sont punis de mort, comme le rappelle Mérimée : « tous [...] furent impitoyablement massacrés. » Les châtiments sont, en effet, terribles, de véritables actes de barbarie : le capitaine n’hésitait pas à couper une partie du corps de la victime pour épouvanter les autres captifs. En effet, beaucoup croyaient que, si leur corps restait entier, ils regagneraient leur pays après avoir été jetés à la mer. Un capitaine n’hésita pas à contraindre deux captifs à manger le cœur et le foie d’un troisième avant de les tuer. Le châtiment le plus brutal est sans doute celui infligé au meneur d’une révolte sur le bateau danois Friedericius Quartus en 1709. Le premier jour, on lui coupa une main, qui fut exhibée devant tous les esclaves. Le second jour, on lui coupa l’autre, également exposée. Le troisième jour, il eut la tête tranchée et son torse fut hissé au grand mât où il resta durant deux jours. On comprend alors le risque qu’a pris le héros de Mérimée.
Étrange anticipation de sa part… 10 ans après Tamango, une révolte éclate à bord d’un navire transportant des esclaves, « l’Amistad », qui obligent le propriétaire, épargné, à les ramener chez eux, mais il les conduit au nord, et ils sont arrêtés dans le Connecticut. Cette révolte restera le symbole, pour les abolitionnistes, de l’horreur des transports négriers.
Le sens de la nouvelle
L’HÉRITAGE DE MÉRIMÉE SUR L’AFRIQUE
De 1805 datent les dernières notes de voyage de Mungo Park, le premier Européen à avoir visité l’Afrique en tant qu’explorateur et d’anthropologue. Ses écrits vont fournir l’essentiel des connaissances sur les sociétés noires d’avant la colonisation. Puis, en 1828, le Baron Roger, administrateur du Sénégal, publie des Fables Sénégalaises (traduites du wolof en alexandrins français !) et le premier roman qui fasse état du « reflux de la Traite » : le héros est un esclave de Saint-Domingue affranchi qui retrouve son Sénégal natal…
Mais les esprits sont encore emplis de préjugés sur l’infériorité des indigènes. Une idée répandue, même chez les » abolitionnistes « , est la nécessité de garder les Noirs sous tutelle jusqu’à ce qu’ils soient capables d’exercer leur liberté et de devenir de bons citoyens : » [dans] un pays où le nombre des esclaves surpasse de beaucoup celui des maîtres, le passage brusque des Nègres à la liberté donnerait au corps social des commotions violentes des secousses dangereuses« , phrase écrite en 1790 par J.-B. Sanchamau, membre de la « Société des Amis des Noirs ».
MÉRIMÉE ET LE MONDE NOIR
Où se situe Mérimée dans ce débat ? Sa position est ambiguë. Dans sa nouvelle Mérimée, ne place le mot » Nègre » que dans la bouche des négriers, lui-même, en tant que narrateur, désigne Tamango et les siens du nom de » Noirs « . Il leur reconnaît ainsi la dignité d’êtres humains. Il porte aussi un jugement sévère sur l’inhumanité à l’égard des esclaves.
Mais on notera aussi la fréquente occurrence dans le texte des mots » stupide » et » grossier « , pour les qualifier, eux ou leurs actes, et le portrait souvent péjoratif fait de l’homme africain : Tamango est un chef cruel, imbécile, primitif et vaniteux, abruti d’alcool… Ses rares moments de grandeur sont dévalués par son ridicule, de son uniforme jusqu’à sa façon d’utiliser son fusil comme une massue ; ses compagnons sont superstitieux et, étant déjà des esclaves soumis à leurs propres chefs, ne sauraient avoir le désir ni même l’idée de la liberté. Ils ne savent que se livrer à des actes barbares tel ce » dernier Blanc déchiqueté et coupé par morceaux « .
Ainsi leur liberté ne peut se concrétiser. L’homme noir, fait pour vivre sur la terre, ne peut conduire le vaisseau des Blancs, fait, lui, pour parcourir les mers… Même si l’image métaphorique (bateau, vent, vague…) est la même que celle du peintre Géricault, la vision de l’écrivain n’offre, elle, aucun espoir. La révolte de Tamango, incapable, de gérer une liberté dont il ignore tout, conduit les siens à un désastre pire que celui auquel ils croyaient échapper, et lui-même finit sa vie de façon lamentable. === Mérimée, tout en blâmant les abus de l’homme blanc, ne donne donc pas à son lecteur une haute idée de l’homme africain.
Le terrain idéologique est prêt pour que la France aille exercer en Afrique sa » mission civilisatrice « . Les « héros nègres » vont ainsi disparaître de la littérature au profit du héros « civilisateur », avec le succès du « roman colonial » qui valorisera l’héroïque explorateur, sans cesse confronté à l’hostilité de ces sauvages qui ont perdu toute leur « bonté ».
POUR ALLER PLUS LOIN : voir les analyses dans « mes articles »