Aimer-la-littérature

Bienvenue sur mon blog

  • Accueil
  • > Molière, « Le Tartuffe », 1664-1669
Molière, « Le Tartuffe », 1664-1669

La problématique

« Quand les masques sont enlevés… » 

Depardieu dans le Tartuffe  La pièce pose de multiples questions autour du thème du « masque »      

     – De quel/s masque/s est revêtu Tartuffe ? S’agit-il d’abord d’un masque social, à rapprocher du rôle occulte joué par la Compagnie du Saint-Sacrement à cette époque, ou plutôt d’un masque moral

      - Le masque n’est-il pas le seul moyen d’affirmer son individualité dans une société qui impose avec force ses normes ? Tartuffe est-il seul à porter un masque dans la pièce ? 

      - Par quels moyens distinguer l’hypocrite de l’homme sincère, l’imposteur de l’homme juste ? Quel rôle peut-jouer le registre comique pour ce faire ?  Dans l’antiquité le mot « hypocrite », qui vient d’un verbe signifiant « dissimuler, déguiser », désignait l’acteur de théâtre. Ainsi l’hypocrite est celui qui joue un rôle, qui se fait passer pour ce qu’il n’est pas, tel l’acteur porteur d’un masque. 

=== Un paradoxe : La comédie, lieu de l’illusion et du masque, serait-elle précisément le meilleur moyen de démasquer l’hypocrite ? 

Présentation

Le schéma actanciel place Tartuffe au centre de l’intrigue : parviendra-t-il à accaparer la fille d’Orgon – donc son argent – et sa femme? Molière respecte donc la règle de l’unité d’action 

LE REGISTRE ? 

Nous reconnaissons un comique proche de la farce, à cause du thème de l’adultère, pour lequel l’adjuvant est le mari naïf lui-même. Nous sommes aussi dans une comédie de mœurs traditionnelle : l’amour de deux jeunes gens est contrarié par un père. Ils lutteront, avec la servante comme adjuvant, pour pouvoir se marier. 

Mais n’y a-t-il pas un élément tragique ? Tartuffe est une réelle menace pour la famille. Sans l’intervention du Roi (par son officier, l’exempt) le faux dévot aurait pu triompher.   

L’ACTUALISATION SPATIO-TEMPORELLE 

Molière respecte la règle de l’unité de lieu, propre au théâtre classique. La scène représente une pièce où l’on reçoit, ouverte sur le monde.  Mais d’autres lieux sont mentionnés, notamment un 1er étage (« là-haut »), espace privé des chambres, où se dissimulent les secrets, où se cachent les secrets compromettants. C’est cet espace que Tartuffe veut s’approprier. Mais est mentionné un espace extérieur, double : celui de la rumeur, des commérages des voisins, qui espionnent et critiquent (cf. I, 1) ; celui de la vérité, celui du Roi qui protège ses sujets (cf. dénouement). 

La règle de l’unité de temps se trouve elle aussi respectée, car rien n’empêche qu’Orgon revienne de son voyage le matin, et que l’arrestation de Tartuffe n’ait lieu le soir.

Le comique dans « Le Tartuffe »

LE COMIQUE DE GESTES

Tartuffe face à Dorine    Dorine et Orgon De nombreuses photos de la mise en scène du Département de Théâtre de l’Université « Saint Ambroise » : http://web.sau.edu/theatre/seasons/9899season/tartuffe/tartuffe.htm 

Au XVII° siècle les conditions de représentation dans les salles limitent le jeu des acteurs : les cabrioles et autres gambades sont plus difficiles car l’espace est réduit en raison  des tentures qui servent de décor, et des spectateurs sur la scène ! Cependant Molière a joué et composé des farces. Le metteur en scène et l’acteur qu’il était ne pouvait pas renoncer aux ressorts les plus évidents du comique explicités dans les didascaliesles gifles (surtout quand, comme celle d’Orgon à Dorine, elle n’atteint pas son but (II, 2) et les coupsles bousculades, gestes et mouvements répétitifs telle la scène entre Valère et Mariane (II, 4), ou la « toux » d’Elmire (IV, 5) 

Mais la pièce a peu de didascalies. Or les commentaires des contemporains nous apprennent que ni Molière ni ses acteurs ne reculaient devant les grimaces, mimiques outrées, gestes excessifs : « Jamais personne ne sut si bien démonter son visage et l’on peut dire que dans cette pièce il en change plus de vingt fois », déclarait M. de Neufvillenaine à propos de Sganarelle. Le lecteur doit donc imaginer, comme on le lui dit dans la Critique de l’École des femmes,  » ces roulements d’yeux extravagants, ces soupirs ridicules, et ces larmes niaises qui font rire tout le monde » (scène 6). 

Une analyse enfin du rythme des scènes nous permet d’imaginer la vie donnée à la pièce par la gestuelle, par exemple dans l’acte I, scène 1. Les jeux de scène deviennent encore plus efficaces quand ils se transforment, pour reprendre la formule de Bergson dans le Rire, en « du mécanique plaqué sur du vivant ». Le public du théâtre, comme les enfants, pour évoquer à nouveau Bergson, rit du diable qui sort à maintes reprises de sa boîte : « Ne songeons qu’à nous réjouir: / La grande affaire est le plaisir » (Monsieur de Pourceaugnac) sont donc la réponse de Molière à ceux qui pourraient le blâmer de se laisser aller à un comique « facile ».      

LE COMIQUE DE LANGAGE

Tout comme le comique de gestes le comique de mots peut reposer sur des procédés simples, hérités du théâtre antique, tels les jeux sonores et les insultes, surtout quand ils s’enchaînent et visent celui qui est, en principe, d’un statut social supérieur. 

C’est le décalage, en effet, qui provoque le rire du public, comme l’explique Bergson dans le Rire. On notera, par exemple, le décalage entre les registres de langue, avec le recours au langage familier chez Mme Pernelle et chez Dorine. Les répétitions, notamment, soulignent  les obsessions qui se sont emparées de l’esprit de ses héros monomaniaques, tel Orgon avec  » Et Tartuffe ? » et « Le pauvre homme ». Molière touche ici à l’Absurde… comme lorsque ses personnages se coupent la parole, se répondent en écho. 

=== Le langage, qui donne à l’homme sa pleine et entière dimension, se vide alors de sa fonction première, permettre de communiquer. Il n’est plus qu’un cliquetis verbal vide de sens. 

Mais, plus grave encore, il se fait mensonge, il trahit la vérité profonde des êtres lorsque ceux-ci s’en servent comme d’un masque. Tout le théâtre de Molière s’emploie ainsi à faire tomber ces masques, à rendre évident aux yeux du public le mensonge des âmes, celui  de Tartuffe qui, par exemple dans ses aveux à Elmire, mêle le langage de la dévotion chrétienne et celui de la galanterie précieuse (III, 3, vers 966-986). 

=== Le public rit encore, mais d’un rire amer car pour un « Tartuffe » démasqué sur scène combien d’autres « Tartuffe » restent des « imposteurs » méconnus ! Ce comique fait rire des mots pour mieux en révéler le dangereux pouvoir.  

LE COMIQUE DE CARACTÈRE 

 Tartuffe entre Orgon et Damis                        Orgon et Tartuffe, le dévot                           Mariane face à son père et à Tartuffe

Le conflit est à la base des comédies de Molière, ici entre Orgon et sa servante, entre Mme Pernelle et la famille, entre amoureux qui se croient trahis…, personnages qui rappellent ceux des comédies antiques.

Cependant une comparaison plus précise entre Molière et ses modèles montre que le comique de caractère, chez lui, tire sa force d’une combinaison entre les effets de grossissement, avec une caricature poussée jusqu’à l’invraisemblance, ici celle d’Orgon, le mari et le père aveugle, et les traits « naturels », d’une vérité psychologique profonde, révélateurs de dysfonctionnements sociaux.  C’est particulièrement le cas pour les héros aveuglés par leur obsession, antithèses absolues de l’idéal de « l’honnête homme » qui bannit tout excès. Molière procède ainsi à ce que l’on pourrait nommer une « cristallisation » : toute une série de détails, gestes, mots, réactions, comportements, se combinent jusqu’à constituer le noyau dur de la personnalité dont il fait la satire. 

Le comique de caractère repose aussi, comme pour les gestes et le langage, sur la notion de décalage, déclinées sur trois niveaux. Apparaît d’abord un décalage entre le personnage et son entourage, comme pour Orgon au sein de sa famille ; puis intervient un décalage entre le comportement du personnage et les valeurs de « l’honnête homme », comme dans le cas d’Orgon qui heurte de façon inacceptable les règles élémentaires de la politesse ; enfin – et plus grave! – on observe un décalage au sein même du personnage, entre sa nature profonde et ses pulsions du moment. Ainsi Tartuffe s’écrie « Ah! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme ; » et tout son discours entrecroise le lexique de la religion et celui du désir sensuel. 

=== Molière touche alors aux débats de son temps autour des « passions » et de leurs dangers.

LE COMIQUE DE SITUATION

  Orgon sous la table              gravure de Mazerolle              Le Tartuffe de Besson

Dans l’antiquité, le comique de situation repose essentiellement sur l’inversion des rapports de forces : revanche de l’esclave sur le maître, du fils sur le père, du pauvre sur le riche, du paysan sur le lettré, de la femme sur l’homme… Il s’agit de faire rire de ce que l’on respecte d’habitude, donc de démythifier le pouvoir en exorcisant la peur qu’il peut provoquer. 

            C’est ce procédé que reprend la farce au moyen-âge en déstabilisant les « puissants » : en les plaçant dans des situations inhabituelles, comme Orgon caché sous la table ; en recourant à des déguisements parfois ; en créant des quiproquos qui les égarent ; en multipliant les coups de théâtre qui les surprennent.       

=== Le public rit de sa supériorité sur le naïf : il possède, lui, les clés de la situation dont le personnage est la dupe.   

            La situation comique la plus complexe se produit lorsque l’intrigue entière se fonde sur le mensonge, touchant alors au thème du « masque ». Ainsi Tartuffe occupe dans la maison et dans l’esprit d’Orgon une place qui ne correspond pas à sa nature profonde. Molière crée alors un effet d’attente : quand ce « masque » tombera-t-il et comment ? 

                Lorsque, comme dans l’acte V le trompeur se retrouve trompé et, à son tour, confondu, l’équilibre est rétabli, le masque est enlevé, la « nature » – c’est-à-dire le naturel et la vérité des sentiments – peut triompher.

Le dénouement

LE DÉNOUEMENT COMPLET ?    

Le dénouement, selon les règles classiques, doit regrouper tous les personnages sur scène : Mme Pernelle entre à la sc. 3, Valère à la sc. 6 et Tartuffe à la sc. 7. Mais Laurent, le domestique de Tartuffe, n’est pas mentionné : est-il absent ? Dorine en faisait le double de son maître. Impuni, choisira-t-il de marcher sur les traces de son maître ? Ou le sort de Tartuffe l’effraiera-t-il ? 

LE DÉNOUEMENT VRAISEMBLABLE ? 

Selon la règle, le dénouement ne doit résoudre l’intrigue que par des éléments déjà connus du public. Certes quelques allusions ont été faites à la fidélité d’Orgon au roi lors de la Fronde : v. 181-182, v. 1939-1940. Malgré cela il reste peu vraisemblable que le roi intervienne dans les affaires privées d’une famille bourgeoise. Cela rappelle en fait les interventions divines du théâtre antique, ce que l’on nomme « deus ex machina ». 

Dans la 1ère version de Tartuffe (en 4 actes), le dévot triomphait. Mais, en remaniant sa pièce, Molière multiplie les retournements de situations. A l’acte IV, scène 7, on peut croire un moment que Tartuffe va échouer ;  à l’acte V, scène 6, est annoncée la fuite d’Orgon, donc le triomphe de Tartuffe ; enfin à l’arrivée de Tartuffe avec l’exempt, on peut croire, dans la logique politique de l’alliance entre le Roi et l’Eglise, que le Roi s’est rangé à l’avis de Tartuffe.  

=== Le dénouement, avec l’arrestation de Tartuffe est très brutal, rapide (v. 1901-1902) : Molière a gardé l’intérêt jusqu’au bout, mais il est obligé de justifier ensuite ce coup de théâtre par la longue tirade de l’exempt.  Le dénouement traditionnel dans la comédie implique un mariage. Certes Valère agit pour s’en montrer digne ; mais ce mariage n’est pas ici l’essentiel : il est mentionné en deux vers à la fin. 

LE DÉNOUEMENT NÉCESSAIRE ?

Le méchant, traditionnellement, doit reconnaître ses torts par sa punition. Or, même au moment où tout se retourne contre lui, Tartuffe ne change pas de comportement ; il s’étonne : « Pourquoi la prison ? » Il n’ajoute aucun commentaire au discours de l’exempt. C’est à travers Cléante que Molière évoque une possibilité de repentir (v. 1949-1953), mais il est permis de douter de ce bel optimisme.   

L’éloge du roi soutient le dénouement, en expliquant les causes qui le justifient : « un roi ennemi de la fraude » (v. 1906),  « sa ferme raison ne tombe en nul excès » (v.1912), son réseau d’informateurs (v. 1924-1926),  son pouvoir, de châtier comme d’être clément (v. 1936). Inversement, si Tartuffe avait triomphé, cela aurait traduit une collusion entre Louis XIV et l’Eglise, un aveuglement du roi et son indifférence au sort des sujets qui l’ont bien servi. 

=== La chute de Tartuffe met donc en évidence le choix politique de la monarchie absolue, que Molière cautionne : éliminer les clans religieux pour asseoir son pouvoir, ici gage de stabilité sociale (v. 1955-1958).

Le dénouement de Tartuffe                                                 Le salut final          

Le dénouement doit satisfaire les valeurs morales, à commencer par l’équilibre et la juste mesure exigés à l’époque classique. C’est le personnage de Cléante, porte-parole de la morale classique de « l’honnête homme », c’est-à-dire le fait d’éviter tous les excès, de rester « dans le milieu qu’il faut » (V, 1624), qui va les transmettre. Il exerce sa sagesse face à chaque personnage, et surtout face à Orgon, dont la colère menace sans cesse d’exploser. 

Mais qui triomphe finalement ? Ceux qui, dans l’exposition, étaient accusés d’aimer les plaisirs, la frivolité. Devons-nous alors accuser Molière d’immoralité ? Molière distingue, en fait, deux formes de libertinage : d’une part, une morale hédoniste, qui consiste à profiter de ce qu’offre la vie ;  d’autre part, un libertinage qui se masque sous une apparence religieuse. Ici encore, Molière se range du côté du roi contre le parti de la « vieille Cour », avec Anne d’Autriche, qui tentait de ramener le royaume à des principes plus stricts. Or la représentation de Tartuffe a eu lieu lors des « plaisirs de l’Ile enchantée », fête somptueuses à Versailles, et alors que le Roi a déjà pris des maîtresses, Mlle de La Vallière, Mme de Montespan. Molière lui donne, en quelque sorte, un argument : le véritable péché est le libertinage de l’âme, puisqu’il masque, sous une apparence religieuse, un athéisme réel. Mais la « cabale des dévots » réussira à faire interdire la pièce, et elle ne sera jouée, remaniée, qu’après la mort d’Anne d’Autriche.  

Une mise en scène du Tartuffe par Jean Pignol, à voir sur le site de l’INA : http://www.ina.fr/art-et-culture/arts-du-spectacle/video/CPA80050992/tartuffe-ou-l-imposteur-de-moliere.fr.html

POUR ALLER PLUS LOIN : voir les analyses dans « mes articles »


Réponses desactivées.

lire puis écrire |
Pour l'amour de la langue e... |
Laisse moi mettre des poème... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le Dragon de la Rivière
| Tisseurs de Mondes
| agnes2nantes