Musset et le romantisme
Consulter la biographie de Musset (1810-1857) sur Wikipedia
Musset compose l’essentiel de son oeuvre entre 1832 et 1836 : cette jeunesse permet de mieux comprendre le choix de ses thèmes et de ses personnages. Un épisode marque sa jeunesse, le premier amour, en 1828, que Musset évoque dans La Confession d’un enfant du siècle et qui fut aussi la première trahison : auprès de sa maîtresse il a surpris « un de [s]es amis les plus chers ». « Le monde a perdu sa transparence », déclare-t-il. C’est de cette époque que date le dédoublement dans la représentation qu’il va donner de l’amour. L’amour est douleur, car c’est une quête éperdue de sincérité, toujours déçue. Ainsi, pour fuir cette douleur, mieux vaut le prendre à la légère, se livrer au libertinage, voire à la débauche. On retrouvera cette dualité dans les deux personnages des Caprices, Coelio qui aspire à un amour pur et absolu comme le ciel dont il porte le nom, et Octave qui multiplie les conquêtes.
En 1827, Musset est présenté à Victor Hugo, et entre au Cénacle, groupe qui réunit, chez Hugo ou chez Nodier, les artistes de l’époque regroupés sous la bannière du « romantisme ». Il est remarqué de tous : beauté, talent littéraire, conquêtes féminines, il semble avoir tous les atouts pour connaître le succès. Ces jeunes écrivains proclament alors leur opposition au classicisme. Au théâtre le drame romantique se crée, avec des Préfaces (celles de Cromwell, 1827, d’Hernani, 1830) qui en expliquent les révoltes : elles refusent la règle des trois unités et exigent une absolue liberté dans le mélange des genres et des tons. On reconnaît beaucoup de traits romantiques chez Musset, l’excès du sentiment, le désir de croire en la passion totale et unique, une certaine forme de désespoir devant la médiocrité du quotidien. Mais, en même temps, il refuse les excès du drame romantique, qu’il juge à la fois trop engagé et trop sérieux. L’échec de la Nuit vénitienne, au théâtre de l’Odéon, en 1830, le conduit à choisir de ne pas faire jouer son théâtre, mais de le faire lire. Ainsi naît « Un Spectacle dans un fauteuil » : c’est dans la deuxième livraison, en 1834, qu’est intégrée la pièce les Caprices de Marianne, d’abord parue dans la Revue des Deux Mondes, en 1833. Ce choix lui offre en même temps une grande liberté dans la structure, qui n’a plus à se soucier des contraintes de la mise en scène, et il peut donner libre cours à sa fantaisie. Mais ni totalement romantique, et plus tout à fait classique, son oeuvre déconcerte le public.
Musset mène alors une vie de dandy : il fréquente les cafés à la mode, il boit et mène joyeuse vie, comme son héros, Octave. Mais la mort de son père, en 1832, marque une rupture dans cette vie facile : il connaît des ennuis d’argent, est obligé de faire de la littérature un métier. Il devient le collaborateur attitré de la Revue des Deux Mondes, dans laquelle il fera paraître la plupart de ses oeuvres.
C’est aussi peu après la publication des Caprices de Marianne qu’il rencontre George Sand, avec laquelle il vivra deux ans de liaison passionnée et douloureuse. Cela ne fera que renforcer l’amertume à l’égard de l’amour qu’exprimait déjà la pièce. Musset s’enfoncera peu à peu dans la dépression, l’absinthe achève de le détruire. Son inspiration s’épuise, et il finit sa vie solitaire alors que, paradoxalement, son oeuvre commence à être reconnue. En 1851, une version remaniée des Caprices es jouée, en 1852, il est élu à l’Académie française.
Présentation de la pièce
Il s’agit d’une pièce en deux actes, le premier de 3 scènes, le second de 6. Mais il serait plus juste de parler de « tableaux » car ces scènes ne correspondent plus, comme dans le théâtre classique, à l’entrée ou à la sortie d’un personnage. La première « scène » de l’acte I peut ainsi se subdiviser en 7 « scènes » au sens strict du terme.
La pièce s’articule autour de 5 rencontres entre Marianne et Octave, la dernière « au cimetière » apportant à la pièce son dénouement. La pièce suit d’abord un mouvement ascendant, puisqu’Octave obtient de Marianne le rendez-vous tant espéré par Coelio, mais la seule rencontre entre Coelio et Marianne (Acte II, scène 5) sera aussi l’heure de la mort de ce jeune amant. La « comédie » fantaisiste bascule ainsi brutalement dans la tragédie. On notera aussi que ces deux personnages sont les seuls à porter des prénoms français, ce qui souligne leur rapprochement, et, peut-être, une forme de similitude.
Musset avait d’abord décidé d’intituler sa pièce « Le Caprice italien » : il la rattachait ainsi à la tradition de la commedia dell’arte, à la fantaisie amoureuse et à ce pays qu’il avait déjà évoqué en 1829 dans ses Contes d’Espagne et d’Italie. Plusieurs des personnages de la pièce portent d’ailleurs des noms italiens, tel Coelio et sa mère Hermia, l’intendant Malvolio, Claudio, le mari ridicule, et son serviteur Tibia. Puis, en 1837, une autre pièce recevra pour titre « Un Caprice ». C’est dire l’importance de ce mot, qui, étymologiquement, rappelle les bonds désordonnés d’une chèvre, et, dans le domaine de l’amour, renvoie à une décision subite, irraisonnée, susceptible de changer rapidement. Ainsi Octave mentionne le « petit caprice de colère de Marianne » (Acte II, sène 3) alors que celle-ci lui a lancé : « Coelio me déplaît ; je ne veux pas de lui. Parlez-moi de quelque autre, de qui vous voudrez. Choisissez-moi dans vos amis un cavalier digne de moi ». Mais qu’un « caprice » puisse entraîner la mort, qui aurait pu le penser ?
Une vidéo intéressante : http://www.visioscene.com/spectacle.php?idProduct=2024&page=5&video=1&btns=&archive=
Temps et lieux
Musset respecte l’unité de temps pendant la quasi totalité de la pièce, suivant en cela le modèle classique. La scène d’exposition s’ouvre sur Marianne qui se rend à la messe. A l’acte II, dans la première scène, les « vêpres sonnent », et la scène 5 se déroule la « nuit« . Musset accentue ainsi la rapidité des « caprices », et ce temps resserré rappelle celui de la tragédie. Mais la dernière scène rompt cette unité puisque les personnages se retrouvent « auprès d’un tombeau« , celui de Coelio : leur conversation marque nettement le retour sur le passé, et ferme l’avenir par l’ »adieu » répété d’Octave à sa jeunesse.
Comme Musset n’écrit pas pour être joué, il ne tient pas compte de la règle classique de l’unité de lieu, même si la plupart des scènes se déroule à proximité de la demeure de Claudio et Marianne, ou à l’intérieur de celle-ci, salle ou jardin. Deux lieux antithétiques sont particulièrement importants, l’église, qui semble représenter le seul lieu de « sortie » de Marianne, « plus dévote [...] que jamais », selon l’entremetteuse Ciuta, et la taverne que fréquente assidument Octave. Seule la scène 2 de l’acte II a lieu dans « la maison d’Hermia« , ce qui donne à cette scène une résonnance particulière. Elle fonctionne ainsi comme un écho à l’intrigue qui se passe ailleurs, ce que confirmera d’ailleurs le long récit d’Hermia.
En même temps, Musset suggère les éléments d’un décor imaginaire, à l’attention de son lecteur, tel Coelio qui mentionne dans la première scène de la pièce « ces petits arbres », « cette place », ou Octave »ces orangers verts », « cette fraîche cascade ». On retrouve aussi de nombreux détails dans les répliques d’Hermia. Mais ces détails ne relèvent pas seulement d’une « couleur locale », ils sont là pour soutenir la psychologie des personnages. L’état des livres « couverts de poussière », des meubles « en désordre », l’agitation d’Hermia pour remettre en ordre son intérieur confirment son inquiétude pour son fils, qui, lui-même, avait déjà déclaré à Octave : « Mon cabinet d’étude est désert ». De même, la didascalie « Elle renverse les chaises » (acte II, scène 3), reprise par Octave (« Toutes les chaises sont les quatre fers en l’air »), lui montre la colère de Marianne, qu’il saura exploiter pour la persuader d’accepter un rendez-vous.
La pièce, elle, se situe « à Naples », mais Musset recherche davantage le pittoresque que le réalisme ! On y retrouve l’atmosphère d’une vie légère, avec le Carnaval et le costume d’Arlequin d’Octave, les tavernes où Octave boit du « lacryma Christi », un lieu qui, pendant toute l’époque romantique, symbolisera l’amour, avec les « guitares » pour donner la « sérénade » et, bien sûr, l’entremetteuse, Ciuta, dont le nom est emprunté à l’écrivain italien Boccace. En fait, ce choix est plutôt un souvenir de Shakespeare, auteur révéré par les écrivains romantiques, de son Roméo et Juliette emblématique de l’amour notamment, et tous les noms italiens lui sont empruntés.
Mais ces noms deviennent ici signifiants. Octave et Marianne, avec leurs prénoms français, se rangent du côté de la raison : ils argumentent, jouent avec les mots aussi, en dignes représentants de l’esprit moqueur hérité de Voltaire. Coelio, Hermia et Malvolio se rattachent, eux, au monde de la vérité des coeurs, de la sincérité du sentiment. Coelio ne raisonne pas, il gémit, se lamente… Enfin Claudio et Tibia sont immédiatement identifiés comme les « grotesques », incarnations de la bêtise et de la médiocrité. On imagine bien en Tibia (« flute » en italien) un serviteur long et maigre, quant à son maître Claudio, étymologiquement son prénom renvoie au fait de boîter : Octave comparera d’ailleurs ses « jambes » à « deux charmantes parenthèses ». Ajoutons à cela qu’il fut le nom d’un empereur romain, mari trompé de Messaline, et l’on comprendra parfaitement le rôle qu’il est, en quelque sorte, prédestiné à jouer.
POUR ALLER PLUS LOIN : voir les analyses dans « mes articles »