PRESENTATION
Deux corpus sont traités [cf. fin de la présentation], suivis d’une synthèse et de documents complémentaires « autour du livre »:
- 1er corpus : Les principes fondateurs du modèle social humaniste
- : 2ème corpus : La satire au service de l’humanisme
La Renaissance marque la rupture entre le Moyen-Age et les Temps modernes : en France elle couvre les XV° et XVI° siècles. En Italie on parle du Quattrocento (= XV° s.) et du Cinquecento (= XVI° s.).
Sous la Renaissance, un monde nouveau s’offre à l’homme : les explorateurs découvrent des terres et des peuples, le monde antique est, lui aussi, exploré par tous les artistes, les idées se diffusent dans toute l’Europe avec les progrès de l’imprimerie. Tout semble alors possible à l’homme. Mais cela fait aussi vaciller les certitudes, et la montée des idées de Luther et de Calvin entraîne les guerres de religion, auxquelles mettra fin l’Edit de Nantes, promulgué par Henri IV.
L’IMPRIMERIE
Le volumen de l’Antiquité, peu pratique, a déjà, au Moyen Age, laissé la place au codex.
Mais celui-ci, réalisé en parchemin, reste peu maniable, fragile, coûteux, et fort long à réaliser.
Avec le développement des universités, la demande en ouvrages augmente. Au XIV° siècle apparaissent le papier et les premiers moulins.
Mais c’est la découverte des caractères mobiles, qui permet à Gutenberg de révolutionner l’imprimerie, jouant un rôle essentiel dans l’essor culturel de la Renaissance. L’imprimerie se diffuse rapidement à travers l’Europe : en 1500, on évalue le nombre d’ouvrages publiés à 20 millions. Elle accélère la diffusion des idées nouvelles. Elle permet aussi l’unification des langues nationales, qui fait naître le sentiment patriotique. Enfin elle contribuera à amplifier la Réforme.
Un personnage apparaît alors, l’imprimeur, dont l’atelier est un foyer d’activité intellectuelle, où se réunissent savants, écrivains, artistes. Citons parmi les plus connus Alde Manuce, ou Froben, qui vont publier les chefs d’oeuvre de l’Antiquité, mais aussi les plus grands auteurs humanistes.
L’HUMANISME
Avec l’imprimerie, les foires, des idées nouvelles se diffusent : l’humanisme s’appuie sur une grande confiance en l’homme et en ses possibilités. Pour les développer, l’éducation est essentielle. Elle doit viser à l’épanouissement de l’individu dans sa société. Enfin les humanistes développent une réflexion sur le pouvoir politique.
L’humanisme s’accompagne d’un développement de l’art, grâce aux riches mécènes, mais aussi à l’apparition de nouvelles techniques. Les artistes se tournent vers les modèles antiques. Il s’agit de retrouver le « Beau » idéal, et de redonner à l’homme la place qu’il avait alors, au centre de toutes choses.
L’homme de Vitruve, dessin à la plume de Léonard de Vinci, illustre cette place et la perfection de l’homme qu’admirent les humanistes et que dépeignait Vitruve dans son traité De l’architecture : « La Nature a distribué les mesures du corps humain […] Si vous ouvrez les jambes de façon à abaisser votre hauteur d’un quatorzième, et si vous étendez vos bras de façon que le bout de vos doigts soit au niveau du sommet de votre tête, vous devez savoir que le centre de vos membres étendus sera au nombril, et que l’espace entre vos jambes sera un triangle équilatéral. La longueur des bras étendus d’un homme est égale à sa hauteur. »
L’EUROPE POLITIQUE
En France, la Renaissance est marquée par le règne de François Ier (1515-1547) : chef de guerre, protecteur des populations et de l’intégrité du royaume, le roi est garant d’un Etat de droit, mais roi « de droit divin ». Pour être sacré, il doit donc être catholique. D’où les difficultés occasionnées par l’affaire des « placards » antipapistes (1534), qui entraîne la première persécution contre les huguenots. C’est François Ier qui, découvrant l’Italie lors des guerres, ramène en France la « Renaissance » et ses artistes.
Henri II, puis ses fils Charles IX et Henri III poursuivront la politique répressive contre les huguenots, avec la Saint Barthélémy (1572), mais aussi les guerres avec Charles Quint, puis Elisabeth Ière .
Henri IV, sacré roi en 1593, après avoir abjuré le protestantisme, met fin aux guerres de religion, débutées en 1562, par l’Edit de Nantes (1598) autorisant les protestants à pratiquer leur culte.
L’Italie, plus au Sud, se démarque par une politique organisée autour des cités. Dès le XIIe siècle, elles s’étaient organisées comme des entités politiques individuelles et autonomes, souvent en conflits d’influences, d’intérêts ou de personnalités, par exemple entre les partisans du pape, les guelfes, et ceux de l’empereur Charles Quint, les gibelins. Florence notamment, à la fin du XV° siècle, est une grande puissance, particulièrement sous l’influence des nobles familles comme les Médicis. L’histoire de Florence est liée à celle de la France, notamment depuis l’alliance avec Charles VIII, qui est entré dans la ville en 1494. L’expulsion des Médicis, avec l’influence de Savonarole, puis leur retour avec le pape Léon X feront de Florence un duché puis le grand – duché de Toscane en 1569. Mais la plupart des territoires italiens est sous le pouvoir du Saint Empire de Charles Quint.
En Angleterre, Henri VIII (règne : 1509-1547), est, avec François 1er et Charles Quint, l’acteur des guerres de la première moitié du XVIe siècle. Son divorce refusé par le pape l’amène à rompre toutes relations avec Rome et à se proclamer chef de l’Eglise d’Angleterre en 1531, fondant l’anglicanisme. Il remplace le Parlement par les deux Chambres, celle des Lords et les Communes, qui deviennent alors une influente instance de délibération et un frein au pouvoir royal. Enfin, l’Angleterre adopte alors un système administratif spécifique où le pouvoir appartient aux notables locaux qui peuvent, grâce au Parlement, contrôler aussi le pouvoir royal.
Elizabeth 1ere (règne : 1547-1603) est la grande souveraine d’Angleterre de la deuxième moitié du XVIe siècle. Elle mène la guerre contre l’Espagne. La flotte anglaise vainc « l’invincible Armada » en 1588 : l’Angleterre contrôle l’Atlantique . Elle interviendra encore pendant les guerres de religion en France. L’apogée de la reine d’Angleterre marque le déclin de l’Espagne de Philippe II.
Le Saint-Empire est dirigé par Charles Quint, le souverain le plus puissant d’Europe au début du XVIe siècle, régnant sur l’Espagne, la Franche-Comté, la Basse Autriche, le Tyrol, la Bohême, la Moravie, la Silésie, l’Alsace et les Pays Bas. En Italie, il nomme les vice-rois des royaumes de Naples, de Sicile, et de Sardaigne, du Milanais ; il règne aussi en Amérique du sud et centrale et aux Philippines. La puissance de l’empire est autant politique que militaire, sur terre et sur mer. Durant son règne, il consolide et agrandit son empire, pour maintenir le catholicisme. Son ennemi principal est François Ier, notamment quand celui-ci veut récupérer des territoires : cela entraîne les guerres d’Italie.
En abdiquant, en 1555, Charles Quint partage l’Empire entre ses fils : Philippe II reçoit l’Espagne et Ferdinand Ier l’empire allemand. La France qui a perdu la plupart des régions convoitées (Savoie, Piémont, Bresse, Corse et Milanais) va être prise en tenaille dans la seconde moitié du XVIe siècle entre l’Europe nordique luthérienne, le Saint Empire au nord et au sud, gouverné par les fils de Charles Quint, et l’Italie où la puissance des papes est incontestée.
1er corpus : Sur quels principes l’humanisme de la Renaissance fonde-t-il son modèle social?
Thomas MORE, L’Utopie, Livre II, 1516 (trad. Victor Souvenel, 1966)
Dans le premier livre de son Utopie, dialogue politico-philosophique, Thomas More (1478-1535), sous les traits fictifs de Morus, raconte sa rencontre avec l’explorateur Hythloday. C’est pour l’auteur l’occasion de se livrer à une violente critique du fonctionnement politique anglais, et des guerres qui déchirent l’Europe. Par opposition dans le second livre Hythloday décrit Utopia, une île parfaite, où règne la justice, grâce à une parfaite égalité, à la communauté des biens, à la suppression de l’argent et du luxe. Il attribue aussi aux Utopiens une religion de la raison universelle, applicable sans distinction à l’humanité entière. (voir l’analyse dans « Mes articles »)
Joachim du BELLAY, « Je me ferai savant en la philosophie… », Les Regrets, 1558
Du Bellay (1522-1560), après de solides études humanistes, est invité par son oncle, cardinal, à l’accompagner en tant que secrétaire, à Rome. Il est aisé d’imaginer son enthousiasme à l’idée de découvrir cette cité, centre du monde chrétien, coeur de cette Italie où vit encore le monde antique qu’il admire tant. C’est ce rêve qu’il exprime dans ce sonnet, mais le titre du recueil, Les Regrets, laisse supposer que ses espoirs n’ont pas été exaucés. (voir l’analyse dans « Mes articles »)
Michel de MONTAIGNE, « Du pédantisme », Essais, Livre I, ch. 25, 1560-1595
« Je suis moi-même la matière de mon livre », déclare Montaigne (1533-1592) au début de son oeuvre. Mais, si cette oeuvre prend sa source dans la vie et les expériences de son auteur, elle est surtout une réflexion sur toutes les questions qui agitent la seconde moitié du XVI° siècle : la découverte des mondes nouveaux, la vie en société, les coutumes et la religion, et, au premier rang de celles-ci, l’instruction. Comment éduquer l’homme pour lui permettre d’améliorer sa société, et de s’améliorer lui-même ? Sur quelles bases fonder l’idéal humaniste ? (voir l’analyse dans « Mes articles »)
Nicolas MACHIAVEL, Le Prince, chapitre VIII, 1513
Machiavel (1469-1527) a joué un rôle actif dans la vie politique de sa cité, Florence. Exilé avec l’accession au pouvoir de Laurent de Médicis, il lui dédie son essai, Le Prince, dans l’espoir de rentrer en grâce. Au cours des 26 chapitres que comporte cet ouvrage, Machiavel s’interroge sur le « principat », en posant deux questions essentielles : comment accéder au pouvoir, comment s’y maintenir ? Cela le conduit à s’intéresser au rôle que peut jouer la violence. Pourrait-il y avoir une « bonne cruauté »? (voir l’analyse dans « Mes articles »)
2ème corpus : Comment les auteurs de la Renaissance mettent-ils les procédés de la satire au service des principes de l’humanisme ?
Désiré ERASME, Eloge de la folie, chapitre XL, 1511
Grâce à ses années d’études, Erasme (1466 ?-1536) accumule un savoir encyclopédique, mais aussi l’ambition de débarrasser le christianisme de la scolastique qui, par ses commentaires interminables, son latin incompréhensible aux non-initiés, éloigne de la vérité profonde des Écritures. Ses nombreux voyages à travers l’Europe lui font rencontrer les plus grands humanistes, tel More auquel il dédie son Eloge de la folie. « C’est la folie qui parle » en une sorte de sermon, dressant un portrait satirique des péchés et des vices de l’homme pour lui rappeler les vérités de la foi chrétienne. (voir l’analyse dans « Mes articles »)
François RABELAIS, Gargantua, chapitre XXVII, 1534
Le second roman de Rabelais (1483 ?-1553), Gargantua, poursuit les aventures des géants qui ont fait le succès de son Pantagruel, mais en inversion chronologique : Gargantua est le père de Pantagruel. Les chapitres XXII à L de ce roman racontent la guerre livrée par Picrochole à Gargantua, dans laquelle le personnage de Frère Jean des Entommeures joue un rôle prépondérant. Dans le passage étudié, nous assistons au combat qu’il livre contre les ennemis venus piller le vignoble. Mais, au-delà de ce combat, Rabelais se livre à une violente satire. (voir l’analyse dans « Mes articles » et dans « Mes pages » pour l’étude de l’oeuvre intégrale.)
Joachim du BELLAY, « Marcher d’un grave pas et d’un grave sourci… », Les Regrets, 1558
Du Bellay (1522-1560), après de solides études humanistes, est invité par son oncle, cardinal, à l’accompagner en tant que secrétaire, à Rome. Il est aisé d’imaginer son enthousiasme à l’idée de découvrir cette cité, centre du monde chrétien, coeur de cette Italie où vit encore le monde antique qu’il admire tant. Mais la vie dans cette ville, tant magnifiée, le déçoit. C’est cette déception qu’il exprime dans ce sonnet, à travers un portrait féroce des courtisans. (voir l’analyse dans « Mes articles »)
Michel de MONTAIGNE, « Sur l’art de la conversation », Essais, Livre III, ch. 8, 1588-1595
Si les Essais de Montaigne (1533-1592) prennent leur source dans la vie et les expériences de cet auteur, ils sont surtout une réflexion sur toutes les questions qui agitent la seconde moitié du XVI° siècle. Montaigne s’intéresse tout particulièrement à la vie en société, en cherchant à poser un idéal qui deviendra, un siècle plus tard, la base de ce qu’on nommera « l’honnête homme ». Quels sont les défauts à corriger, les qualités à développer ? Sur quels critères fonder une nouvelle sagesse pour permettre à l’homme d’améliorer sa société, et de s’améliorer lui-même ? (voir l’analyse dans « Mes articles »)
La satire Ménippée « De la vertu du catholicon d’Espagne », 1594
Un groupe de bourgeois de Paris, tous catholiques et soutenant la royauté légitime, heureux de saluer la victoire de la raison et de la patrie sur le fanatisme des « Ligueurs », composent cette courte satire de leurs excès, sous la forme d’un éloge plaisant d’un remède miracle, le « catholicon ». Comme le boniment d’un charlatan de foire qui voudrait attirer le client, le texte déroule les merveilles promises par l’usage de ce remède. Mais que symbolise ce « catholicon » ? (voir l’analyse dans « Mes articles »)
SYNTHESE
QU’EST-CE QUE L’HUMANISME ?
En latin, le mot « humanitas » désigne tout ce qui différencie l’homme des autres êtres vivants. Cette notion est reprise dans l’éducation : au Moyen Âge, les « humaniores litterae », connaissances profanes fondées sur l’étude des textes antiques, enseignées dans les « facultés des arts », s’opposent aux « diviniores litterae », ou lettres divines, enseignées dans les facultés de théologie. On appelle alors « humanistes » ceux qui s’intéressent à cette étude.
Ainsi, pour les humanistes, l’homme est placé au centre de toute question, et son développement constitue le but suprême. S’appuyant sur la sagesse des auteurs antiques, qui servent de modèles de vie, d’écriture et de pensée, et non plus sur les Saintes Ecritures, ils souhaitent bâtir une société différente, et atteindre la perfection, morale comme artistique (cf. Corpus : « Les principes fondateurs du modèle social humaniste »).
L’humanisme fait donc de l’homme lui-même l’objet de sa recherche, exaltant sa capacité à se connaître lui-même, à maîtriser le monde et à comprendre Dieu à travers le monde créé. Comme il juge tout homme digne de respect, il entend le défendre contre les fanatismes ou tyrannies qui le menacent (cf. Corpus : « La satire au service de l’humanisme »). Il reconnaît même la nature humaine chez le « sauvage » du Nouveau monde à qui les conquérants européens niaient toute âme.
LA NAISSANCE DE L’HUMANISME
Trois raisons principales expliquent les changements dans la représentation que l’homme se fait du monde et de lui-même au XVIème siècle.
De grandes découvertes
Rappelons le rôle joué par les voyages, qui vont permettre d’affirmer que la terre est ronde : Christophe Colomb découvre l’Amérique en 1492, en 1497, Vasco de Gama ouvre la voie des Indes et Cabot découvre le Labrador ; en 1519-1522, Magellan fait pour la première fois le tour du monde (cf. Dans « mes pages », Léry).
Copernic puis Galilée bouleversent encore cette représentation du monde en affirmant, contre la doctrine religieuse, que la Terre tourne autour du Soleil.
Enfin, avec le développement de la médecine et de l’anatomie, la connaissance du corps humain progresse également. Puisque l’homme appartient à la nature, bien connaître son corps s’inscrit dans l’étude du monde.
L’invention de l’imprimerie
Avec une plus large diffusion des nouvelles connaissances (cf. « Présentation »), en une génération, l’espace et le temps ont totalement changé de valeur et de mesure. Mais à cet élargissement du monde extérieur correspond une transformation du monde intérieur : tout ce qui était certain se trouve remis en cause.
Même le sentiment religieux est touché. Jusqu’à présent, l’Europe était soumise à l’Église catholique, qui menace d’excommunication, voire élimine, lorsqu’on lui résiste. Or, les humanistes questionnent aussi les textes sacrés, et contestent les dogmes. Le sentiment d’infériorité de l’homme face à Dieu fait place au sentiment de sa valeur personnelle, il se sent le centre du monde, il ressent un sentiment de puissance, une forme de « renaissance ». Des universités surgissent dans toute l’Europe : la science se dresse face à l’Eglise.
Des conditions historiques favorables
A la suite de l’invasion de Constantinople par les Turcs en 1453, de nombreux Grecs s’enfuient et se réfugient en Italie, emportant avec eux des manuscrits en grec, et leur culture. Ces textes originaux sont traduits, et découverts grâce aux progrès de l’imprimerie. (cf. « Présentation » + Textes complémentaires en fin d’article).
Les guerres d’Italie menées par François 1er mettent les Français en contact avec la culture et la civilisation italiennes, la Renaissance italienne ayant déjà eu lieu au XVème siècle (Quattrocento). Ce roi « mécène » invite en France savants et artistes, et l’élite française s’ouvre à la peinture et à la littérature italiennes. Pour concurrencer la renaissance italienne, il crée le Collège royal où l’on enseigne le latin, l’hébreu et le grec, et invente le « dépôt légal » : il faut un « privilège royal » pour éditer un livre, puis en déposer in exemplaire à la bibliothèque royale. Enfin l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) fait du français la langue officielle.
En Europe, le commerce devient florissant grâce à la navigation, la civilisation urbaine se développe au détriment des campagnes, qui s’appauvrissent : cette Renaissance de « la cité » entraîne un bouleversement social, et provoque un nouveau questionnement sur la ville et sa gestion.
LES IDÉES HUMANISTES
Le renouveau de la pensée religieuse
La redécouverte de La Bible et des Pères de l’Eglise suscite un mouvement de rénovation religieuse, le courant évangéliste, dont étaient proches Érasme et Rabelais : chacun doit lire et méditer directement les Écritures. La prière individuelle se libère des dogmes et des liturgies imposés. En fait, les humanistes ne rejettent pas la foi chrétienne mais cherchent à la vivre de façon plus personnelle et plus sincère.
Un autre courant naît dans l’Église, impulsé par Luther, puis Calvin qui conteste, au nom même de la foi et des Écritures, l’autorité de l’Église catholique, ses sacrements, ses structures : c’est ce que l’on nomme « la Réforme ». Mais ce courant, devenant le protestantisme, s’éloigne ensuite de l’humanisme, parce qu’il rejette le libre arbitre.
La Renaissance artistique
Depuis le Quattrocento italien, la peinture a modifié la représentation du portrait et de l’espace, et cela a un retentissement en France, grâce à François Ier, par exemple avec son invitation de Léonard de Vinci.
Cette évolution se traduit aussi dans la sculpture s’inspirant des modèles grecs, et surtout dans l’architecture et la décoration des châteaux : le château-fort disparaît devant l’élégance esthétique, tels les châteaux de la Loire (Azay-le-Rideau, Chambord, Chenonceau…), décors d’une vie raffinée et emblèmes de la puissance royale.
Les tendances littéraires
Au début du siècle, les œuvres sont encore influencées par les goûts du Moyen Âge (Rabelais). Par exemple, un grand roman de chevalerie espagnol d’Amadis de Gaule (1540) est traduit en français, et on écrit encore, vers 1500, des poèmes dans la langue du pouvoir et du savoir, le latin. Mais, à partir de 1540-1550, grâce à l’ordonnance de Villers-Coterêts, s’instaurent les grands genres qui vont caractériser la littérature française : la tragédie, avec Jodelle, la nouvelle avec Marguerite de Navarre, l’essai avec Montaigne. Quant à la poésie, elle prend un important tournant avec la Pléiade, groupe composé de 7 poètes, dont RONSARD et DU BELLAY (cf. Corpus) : ils veulent rompre avec l’héritage médiéval pour faire renaître la forme et l’esprit des genres de l’Antiquité dans une langue poétique renouvelée. Dans Défense et illustration de la langue française (1549), véritable manifeste du groupe, Du Bellay soutient que l’imitation des Anciens nourrit la créativité. Leurs plus belles réussites seront inscrites dans le lyrisme amoureux, tel Les Amours de RONSARD.
LA DÉSILLUSION HUMANISTE
François 1er se montre d’abord tolérant à l’égard des idées religieuses nouvelles de la Réforme. Mais l’affaire des Placards le fait changer d’attitude. Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, un texte injurieux, sous forme d’affiche, ou « placard », intitulés « Articles véritables sur les horribles, grands et insupportables abus de la messe papale, inventée directement contre la Sainte Cène de notre Seigneur, seul médiateur et seul Sauveur Jésus-Christ », avait été apposé dans les rues de Paris et de plusieurs autres grandes villes symboliques du royaume (Tours, Orléans…), et jusque sur la porte de la chambre du roi au château d’Amboise. Le titre était une attaque directe de l’auteur, Antoine Marcourt, un pasteur de Neuchâtel, contre le sacrement catholique de l’Eucharistie, et donc un affront envers la personne même du roi, représentant divin. En réaction, François Ier fit une profession de foi catholique solennelle, et déclencha la persécution et l’exil de nombreux évangélistes et surtout de protestants, tel Calvin qui se réfugia en Suisse.
Les guerres entre protestants et catholiques sont meurtrières, alternant avec des périodes de calme éphémère. En 1572, le massacre de la Saint-Barthélemy, décidé par Catherine de Médicis, élimine de nombreux chefs protestants. Elles prennent fin avec l’avènement d’Henri IV (1589), protestant converti au catholicisme qui accordera la liberté de culte aux protestants par l’Édit de Nantes en 1598.
Les horreurs de ces guerres civiles ont cruellement détruit les espoirs humanistes du début du siècle. Les textes, selon la date de leur écriture, 1ère ou 2nde moitié du siècle, reflètent ce passage d’un immense optimisme, d’une foi dans les capacités de l’homme à s’améliorer et à améliorer sa société, à un pessimisme plus marqué face à la violence et à l’intolérance qui subsistent.
TEXTES COMPLEMENTAIRES
« Autour du livre »
L’enseignement de Manuel Chrysolaras à Florence (1397-1400)
« Les lettres se développèrent en Italie de manière admirable. C’est alors que se répandit pour la première fois la connaissance de ces lettres grecques qui avaient cessé pendant 700 ans d’être en usage chez nos compatriotes. C’est à Chrysolaras de Byzance […] que nous devons cette restauration de la connaissance du grec. Sa patrie assiégée par les Turcs, il fit d’abord voile vers Venise, puis, invité et sollicité avec bonté, il vint à Florence pour communiquer aux jeunes gens toute la richesse de son savoir. J’étudiais à cette époque le droit civil, sans négliger pour autant les autres matières[…]. L’arrivée de Chrysolaras me rendit perplexe : abandonner l’étude du droit me paraissait dangereux, négliger une telle occasion d’apprendre le grec me semblait un vrai crime. Je ne cessais de me répéter, de manière un peu juvénile : tu as la possibilité de voir Homère, Platon et Démosthène, de discuter avec tous ces poètes, ces philosophes, ces orateurs, qu’entoure une réputation exceptionnelle et si merveilleuse, de t’imprégner de leur remarquable enseignement ; vas-tu les laisser et les abandonner ? Sept cents ans durant, personne en Italie n’a possédé les lettres grecques, et pourtant nous avouons que toute connaissance vient d’eux. Quel profit pour ta culture, quel éclat pour ta langue !
in Ch. de la Roncière, Ph. Contamine et R. Delort, L’Europe au Moyen Âge, 1971
Une lettre de Coluccio Salutati à son ami Jacopo da Scarperia à Constantinople (1396)
« Voilà maintenant ce qu’il faut que tu fasses. D’abord, insister auprès de Manuel […] Et puis, pour combler notre attente et notre faim, […] arriver aussi vite que possible. En troisième lieu, apporter autant de livres que tu peux. Fais en sorte que ne manquent aucun historien, aucun poète, aucun traité sur les fables poétiques. Fais-nous avoir des règles de versification. Je voudrais que tu apportes avec toi tout Platon, et tous les vocabulaires disponibles, indispensables pour résoudre les difficultés de compréhension. Achète-moi un Plutarque et un Homère sur parchemin en grands caractères. Si tu trouves une mythologie, achète-la. »
in Ch. de la Roncière, Ph. Contamine et R. Delort, L’Europe au Moyen Âge, 1971
L’introduction de l’imprimerie en France
« Tu viens de m’envoyer les savoureuses lettres de Gasparino de Bergame. Non seulement tu en as revu soigneusement le texte, mais il est nettement et correctement reproduit par les imprimeurs allemands. L’auteur te doit de grands remerciements pour les longues veilles que tu as consacrées à rendre son livre parfait, de corrompu qu’il était auparavant. Mais tous les hommes savants doivent te remercier encore davantage, toi qui non seulement t’appliques à l’étude des lettres sacrées (comme t’y appellent tes fonctions), mais leur rends un signalé service en t’occupant de rétablir, dans leur pureté, les textes des auteurs latins. Sans parler de plusieurs autres grandes pertes subies par les lettres, les mauvais copistes ne sont-ils pas une des causes qui ont le plus contribué à les précipiter pour ainsi dire dans la barbarie ! Aussi quelle est ma joie de voir que tu as eu la bonne idée de chasser enfin ce véritable fléau de la ville de Paris ! Ces industries du livre que, de ton pays d’Allemagne, tu as fait venir en cette cité, produisent des livres très corrects et conformes à la copie qui leur est livrée. Tu fais, du reste, la plus grande attention à ce qu’ils n’impriment rien sans que le texte n’ait été confronté avec tous les manuscrits que tu réunis et corriges plusieurs fois. »
G. Fichet (1433-vers 1480), docteur en théologie, Lettre à Jean de la Pierre, prieur de la Sorbonne
Une bibliothèque
« Le soir tombe, je retourne au logis. Je pénètre dans ma bibliothèque et dès le seuil, […] j’entre dans la cour antique des Anciens : là ils m’accueillent avec affabilité et je me repais de l’aliment qui par excellence est le mien et pour lequel je suis né ; là nulle honte à parier avec eux, à les interroger sur les mobiles de leurs actions. En eux, en vertu de leur humanité, ils me répondent. »
Nicolas Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite-Live, 1513
La fin de la barbarie
« Il y a un siècle, la barbarie régnait partout en Europe… Mais une armée de lettrés, levée de tous les coins de l’Europe, maîtres dans les deux langues grecque et latine, fait de tels assauts au camp ennemi, qu’enfin la barbarie n’a plus de refuge ; elle a depuis longtemps disparu d’Italie ; elle est sortie d’Allemagne ; elle a fui hors d’Espagne ; elle est bannie de France. Il n’y a plus une ville qui donne asile au monstre. Maintenant l’homme apprend à se connaître ; maintenant il marche à la lumière du grand jour, au lieu de tâtonner misérablement dans les ténèbres. Maintenant, l’homme s’élève vraiment au-dessus de l’animal par son âme et par son langage qu’il perfectionne. Les lettres ont repris leur véritable mission qui est de faire le bonheur de l’homme, de remplir sa vie de tous les biens. Courage ! Elle grandira cette jeunesse qui, en ce moment, reçoit une bonne éducation : elle fera descendre de leurs sièges les ennemis du savoir ; elle entrera dans le conseil des rois ; elle administrera les affaires de l’État… Son premier acte sera d’instituer partout ces bonnes études qui apprennent à fuir le vice et engendrent l’amour de la vertu. »
Étienne Dolet, Commentaire sur la langue latine, 1536
La question de la traduction
« Le troisième point est qu’en traduisant il ne faut pas s’asservir au point de rendre mot pour mot. Quand quelqu’un procède ainsi, c’est signe de pauvreté et de défaut d’esprit. Car s’il a les qualités précédemment mentionnées (1) (nécessaires pour être un bon traducteur) sans avoir égard à l’ordre des mots il s’arrêtera aux phrases, et fera en sorte que l’intention de l’auteur soit exprimée, en gardant soigneusement sa propriété de l’une et l’autre langue. Et c’est pourquoi c’est superstition trop grande (dirai-je bêtise, ou ignorance ?) de commencer sa traduction au commencement de la phrase : mais si, en ayant perverti l’ordre des mots, tu exprimes l’intention de celui que tu traduis, personne ne peut t’en faire reproche. Je ne veux pas taire ici la folie de certains traducteurs, qui, au lieu de liberté, se soumettent à la servitude. C’est-à-dire qu’ils sont si sots qu’ils s’efforcent de rendre ligne pour ligne, ou vers pour vers. Par cette erreur, ils dépravent souvent le sens de l’auteur qu’ils traduisent, et n’expriment pas la grâce et perfection de l’une et de l’autre langue. Tu te garderas précieusement de ce vice, qui ne démontre rien d’autre que l’ignorance du traducteur. »
Étienne Dolet, La manière de bien traduire d’une langue en autre, 1540
(1) La 1ère est de comprendre « le sens et matière » de l’auteur traduit, la 2nde de connaître parfaitement les deux langues, chacune ayant ses « propriétés, locutions, subtilités et véhémence ».