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Vian, « L’Ecume des jours », 1947

L'Ecume des jours  Sans doute débuté en 1945, le roman est présenté à Raymond Queneau, qui en soutient la publication aux prestigieuses éditions Gallimard, dont Vian n’obtiendra pourtant pas le prix. Malgré le soutien de Queneau qui juge qu’il s’agit du « plus poignant des romans d’amour contemporain »), le roman remporte peu de succès à sa parution, en 1947. Aujourd’hui, en revanche, son originalité est reconnue : deux films l’ont adapté, l’un de Charles Belmont en 1968, l’autre de Michel Gondry en 2013.

L’auteur : 1920-1959

Portrait de Boris Vian La maladie
À 12 ans, une angine infectieuse marque le début d’une
maladie cardiaque, qui s’accentue à la suite d’une fièvre typhoïde (1935). En 1951, sa faiblesse cardiaque lui interdit de poursuivre sa pratique de la trompette. Il est atteint d’une crise grave d’œdème pulmonaire en 1956. Il meurt pendant la projection du film tiré d’une de ses œuvres, J’irai cracher sur vos tombes.

Sa vie professionnelle
Après des études brillantes (deux baccalauréats, Philo et Scientifique), à 22 ans il obtient le diplôme d’ingénieur de l’Éc
ole Centrale, et entre à l’AFNOR (Association française de Normalisation). Il abandonne ce métier en 1947 pour se consacrer uniquement aux arts : littérature, théâtre, musique, cinéma… Il travaille notamment pour de grandes maisons de disques : Philips, Barclay.

 La muBoris Viansique
C’est pour lui une passion de jeunesse, notamment pour le jazz. À 16 ans, il fonde un orchestre amateur avec ses frères et des camarades et adhère au Hot Club de France. À la fin de la guerre, il joue de la trompette dans un orchestre amateur, et fréquente assidument le quartier des « zazous » de Saint-Germain-des-Prés. Il écrit de nombreux articles pour des magazines de jazz, par exemple Jazz Hot, ou des journaux, tel Combat
.   

Les amitiés
Vian fréquente tous les écrivains de cette époque, par exemple Queneau, qui appuie la publication de l’Écume des jours, Cocteau, Prévert… Il collabore notamment à la revue Les Temps modernes de Sartre, dont il éloignera quand la revue se politisera. Proche de Jarry, dont il apprécie l’absurde, il entre au « collège de Pataphysique » en 1952, « société.de recherches savantes et inutiles » qui publie de nombreux textes inspirés à la fois du mouvement surréaliste et de l’Absurde.

À découvrir, un site original sur l’auteur et son oeuvre : http://www.borisvian.org/ – et un remarquable dossier, richement illustré, de la BnF : http://expositions.bnf.fr/vian/

Son œuvre

Le déserteur L’œuvre musicale
Boris Vian a composé les paroles et la musique de très nombreuses chansons, qui évoquent le monde moderne (« La complainte du progrès »), parfois engagées politiquement, comme « La java des bombes atomiques », ou « Le déserteur ». En pleine guerre d’Algérie, cette dernière est d’ailleurs censurée. Il compose également un opéra, Le Chevalier de neige, représenté en 1953.

Sous le pseudonyme de Vernon Sullivan
Vernon SullivanSous ce nom d’emprunt, Vian publie trois œuvres, qui parodient le roman noir américain : J’irai cracher sur vos tombes (1946), Les Morts ont tous la même peau (1947) sur la ségrégation raciale aux USA, et Elles ne se rendent pas compte (1950, un polar qui se déroule aux USA dans le milieu des trafiquants de drogue. Le premier livre lui vaut un procès pour « outrage aux mœurs », puis son adaptation au théâtre, créé en 1948, est aussitôt interdite. Un autre procès renouvelle, en 1950, la condamnation de ces œuvres, jusqu’à ce qu’intervienne, en 1953, une amnistie. 

Une grande diversité littéraire
Sous son nom propre, Vian a pratiqué tous les genres littéraires :
la poésie, avec Cent sonnets, œuvre débutée en 1941, des nouvelles, du théâtre, des scénarios de films, et de très nombreux articles. Enfin il a composé des romans, dont les plus connus sont L’Écume des jours (1947), L’Herbe rouge (1950) et L’Arrache-cœur (1953).
L’ensemble de son œuvre est très marqué par le surréalisme, auquel il emprunte le goût de la provocation sociale, le sens du merveilleux et le choix de l’irréel, la fantaisie verbale.

Présentation du roman

Son titre

 L'Ecume des joursIl peut prendre trois sens métaphoriques, en partie contradictoires. Une phrase de « l’Avant-Propos », « Il apparaît, en effet, que les masses ont tort, et les individus toujours raison. », nous autorise d’ailleurs à formuler un jugement personnel, tandis que l’auteur refuse alors de dégager un « sens » de son roman.

Le terme « écume » suggère un mode de vie, qui consisterait à ne prendre de la vie que sa superficialité. Cette idée de prendre les « jours » comme ils viennent, avec légèreté, correspond bien au début du roman : la vie de ces adolescents semble facile, faite uniquement de plaisirs.

Mais on peut aussi lui donner un sens plus sombre, dans la mesure où l’écume est aussi la mousse blanchâtre qui se forme à la surface d’un liquide que l’on chauffe ou qui fermente. Cela renverrait à la vie des jeunes gens qui se dégrade au fur et à mesure que progresse la maladie de Chloé, comme si l’eau pure se couvrait peu à peu d’écume et qu’ils s’enfonçaient dans une sorte de marécage. Cela est formulé clairement dans un passage du chapitre XXXIII :  » A l’endroit où les fleuves se jettent dans la mer il se forme une barre difficile à franchir et de grands remous écumeux où dansent les épaves. « 

Duke Ellington    Mais ne peut-on pas encore y voir un sens plus profond ? L’écume, ce qui est à la surface, implique, au-delà, une profondeur, ce qui reste quand l’écume a été prélevée, ce qui reste au-delà du dénouement de la fiction romanesque. Écoutons alors l’ »Avant-Propos » qui propose une réponse : « Il y a seulement deux choses : c’est l’amour, de toutes les façons, avec les jolies filles, et la musique de la Nouvelle-Orléans ou de Duke Ellington. Le reste devrait disparaître, car le reste est laid, et les quelques pages de démonstration qui suivent tirent toute leur force du fait  que l’histoire  est entièrement vraie, puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre. »

 Un film de M. GondrySa structure

La schéma narratif suit un ordre chronologique. Les chapitres I à XI présentent la situation initiale : Colin mène une vie heureuse et paisible, faite de plaisirs partagés avec ses amis, notamment Chick. MAIS il exprime, au début du chapitre X, un manque : « Je voudrais être amoureux. » L’élément perturbateur intervient au chapitre XI, c’est la première rencontre de Colin avec Chloé. En apparence, tout pourrait alors finir comme dans un conte de fées, par un merveilleux mariage.

Mais surviennent des péripéties. La  première suit immédiatement le mariage, et représente la première faille dans le bonheur du jeune couple. Au cours du voyage de noces, la voiture traverse un paysage terrible (chapitre XXV), comme prémonitoire d’un futur malheur. Puis, arrivée à l’hôtel, Chloé joue avec la neige, le froid est glacial, et Colon casse une vitre de leur chambre (chapitre XXVI) : Chloé commence à tousser. Étape par étape, la maladie de Chloé progresse, parallèlement au rétrécissement et à l’obscurcissement de l’appartement. Colin se ruine peu à peu pour permettre à Chloé de se soigner – il doit acheter des fleurs, coûteuses – et se voit obligé de travailler.
Le dénouement est original, car il est double. Il évoque, très brutalement et rapidement la mort de Chloé. Mais le dernier chapitre montre, lui, la mort de la souris, qui est, dans tout le roman, comme le génie familier du jeune couple : elle annonce le suicide de Colin.

En parallèle, le roman raconte une autre histoire d’amour entre deux personnages secondaires, Chick et Alise. Elle aussi connaît un dénouement tragique. Alise meurt dans l’incendie de la librairie, qu’elle a allumé pour sauver Chick, obsédé par l’œuvre de Jean-Sol Partre, de la ruine, comme en un ultime geste d’amour. Chick, lui, meurt alors qu’au cours d’une saisie, on détruit ses livres : c’est aussi l’amour pour eux qui le tue. Seul subsiste le couple formé par Isis et Nicolas, l’ancien cuisinier de Colin.

Comment la distorsion du réel dans le roman lui donne-t-elle son sens ?

La peinture de la société

Rappelons l’affirmation de Vian dans l’Avant-Propos : « les masses ont tort » .  Ce jugement péjoratif est illustré par la peinture de la société. Mais il s’inverse quand elle sert d’arrière-plan aux intrigues amoureuses : elle se trouve alors embellie.

IMAGES DE PARIS

Les amoureux de PeynetIl est assez facile d’identifier Paris, car Vian en reproduit des stéréotypes, des images traditionnelles : le métro, les rues animées avec leurs agents aux carrefours, les pigeons…  Un résumé les regroupe d’ailleurs dans le 1er paragraphe du chapitre XIII. Mais ces images accordent peu de place aux gens eux-mêmes, souvent présentés par de rapides flashes, comme dans le chapitre V. De plus, ces stéréotypes sont transformées par la fantaisie propre au langage de B. Vian, par exemple pour évoquer la sortie du métro au chapitre III.

Les vitrinesL’immédiat après-guerre marque le début de ce que l’on a nommé « les Trente-Glorieuses » : une société qui s’enrichit et commence à consommer de plus en plus, aussi bien pour ses loisirs, comme ici à la patinoire qui occupe deux chapitres, mais aussi des objets.

La consommationAinsi la description des promenades de Colin et de Chloé conduit Vian à une satire des excès de cette société de consommation, notamment de la façon dont elle se sert de la publicité. Il ridiculise, par exemple, le contenu des étalages au chapitre X, ou se moque des slogans qui font de la « propagande », au chapitre XIII.

LES FORCES DOMINANTES

On ne peut pas considérer ce roman comme « engagé », car il n’aborde pas les questions politiques, ne mentionne pas les grandes institutions de l’Etat. La police seule se trouve rapidement évoquée à la fin du roman, quand les « agents d’armes », venus pour saisir les biens de Chick, vont le tuer.

Cependant, deux critiques sont récurrentes, d’ailleurs associées : le pouvoir de l’argent, et celui de l’Église.

L'argentLe roman est fondé sur un contraste entre la richesse et la pauvreté, marqué dès l’incipit. Colin semble immensément riche au début du roman, au point d’offrir sans hésiter, au chapitre XV, le quart de sa fortune à Chick, plus pauvre. Le thème de la pauvreté s’impose en même temps que la maladie de Cholé oblige Colin à compter, par  exemple au chapitre XXXV. Tout est alors perturbé dans le mode de vie des personnages, ce qui ressort dans le chapitre XLVII. Ce contraste ressort particulièrement quand Colin travaille dans « la cave de la Réserve d’Or », au chapitre LXI.

L’Église, comme le montrent le dialogue avec Colin, puis la cérémonie lors des funérailles de Chloé, est, elle aussi, obsédée par l’argent. (cf. dans mes articles)

LE TRAVAIL

Dès sa première mention dans le roman, le travail est présenté comme une obligation absurde, ce que souligne la discussion entre Colin et Cholé, au chapitre XXV.
Cette impression d’absurdité se retrouve quand Colin part à la recherche d’un emploi au chapitre XLIV : son entretien d’embauche est dépourvu de toute logique. D’ailleurs aucun des emplois exercés, aussi bien par Colin que par Chick, ne semble offrir d’intérêt. C’est particulièrement net pour la production d’armes, par avance vouée à l’échec, au chapitre LII, ce qui traduit l’antimilitarisme de B. Vian.

La laideur du paysageDe plus, le travail est montré comme doublement destructeur. D’abord, il détruit le paysage. Les couleurs sont sinistres, les matériaux rudes et froids, Vian fait tout pour nous mettre sous les yeux un monde répugnant, par exemple dans les mines de cuivre (chapitre XXIV), dans l’usine où travaille Chick (chapitre XLVIII) ou dans le champ d’armes, au chapitre LI.

Cultiver des fusilsMais surtout, il déshumanise l’homme. Il déshumanise l’homme, lui ôtant toute dignité et le faisant vieillir avant l’âge ; il se confond même avec l’animal, « une bête écailleuse », au chapitre XXIV. Les hommes sont devenus les esclaves des machines, répandent « une odeur horrible de bête humaine carbonisée ». Ainsi, le dernier emploi exercé par Colin a détruit tout ce qu’il y avait de beau en lui, et a même modifié son regard sur l’existence, au chapitre LXIII.

CONCLUSION

Dès lors qu’elle oblige à quitter l’adolescence, le monde des plaisirs et de la « gratuité », la société ne peut être que  laideur, car elle conduit l’homme à l’utilitarisme et au matérialisme.

 POUR L’ANALYSE D’EXTRAITS : rechercher « Vian » dans le moteur interne du site. 


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